COP27 : Bilan et enjeux clés de la Conférence de Charm el-Cheikh (2022)
La Conférence de Charm el-Cheikh sur les changements climatiques s’est close le 20 novembre dernier. Avec 39 heures de retard, seule la COP19 à Madrid avait duré plus longtemps. Le signe d’âpres négociations qui, comme attendu, ont tourné autour de la finance climat, de la gestion des conséquences du changement climatique et des nouvelles ambitions de réduction des émissions.
Les nombreux points de blocage avaient fait planer l’ombre d’une absence d’accord final pendant la deuxième semaine, mais les dernières heures ont permis l’adoption d’un texte final, dont on retiendra avant tout la création d’un fonds d’aide pour les pertes et dommages, mais sans avancées significatives pour lutter contre les causes du changement climatique.
Pertes et dommages : l’accouchement douloureux d’un fonds historique
Cela faisait trente ans que les pays souffrant des conséquences du changement climatique réclamaient une aide des pays développés, premiers responsables de ce phénomène, pour faire face aux « pertes et dommages ». Jusqu’alors, ces derniers s’opposaient à tout mécanisme financier et au principe de réparation et de compensation pour leurs émissions passées. Mais les catastrophes climatiques récentes et les revendications du continent africain, qui accueillait cette COP, ont placé ce sujet au cœur des discussions.
- Après plus de deux jours de négociations, le financement des pertes et dommages a été placé à l’agenda officiel. Il en est devenu au fil des jours le principal enjeu du sommet, porté par le groupe G77 + Chine, une coalition des pays en développement.
- Parmi les pays développés, l’Union Européenne a été la première à ouvrir la porte à la création d’un fonds, mais à condition d’élargir le cercle des financeurs, notamment aux pays fortement émetteurs et relativement riches, dont la Chine (mais aussi par une taxe), d’en faire profiter uniquement les pays les plus vulnérables, et de renforcer l’effort global en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette proposition, interprétée comme une tentative de diviser la Chine du reste de la coalition, n’a pas recueilli le soutien des pays en développements, et les différentes positions semblaient irréconciliables.
- La situation s’est finalement débloquée pendant les prolongations de la COP, soit l’ultime week-end, où les Parties se sont finalement entendues sur l’établissement de « dispositions financières » pour aider « les pays en développement particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique, en réponse aux pertes et dommages », incluant la création d’un fonds, sans trancher toutes les questions qui fâchent. Qui seront les financeurs ? Quels montants seront mobilisés ? Quels pays en bénéficieront ? Ce sera à un comité composé de 24 pays – 10 du Nord et 14 du Sud – de se pencher sur ces questions pour rendre le fonds opérationnel dès la prochaine COP organisée à Dubaï.
Au-delà de la création du fonds, plusieurs initiatives ont été annoncées pour répondre aux pertes et dommages, dont le montant global de limite à 350 millions de dollars.
Finance climat : des jalons importants ont été posés
Le rétablissement de la confiance entre les pays du Nord et du Sud, sur fond du non-respect de la promesse de l’aide de 100 milliards de dollars par an promise pour 2020 par les pays développés, était l’un des principaux enjeux du sommet. Le sujet de la finance climat a ainsi été largement débattu.
- La promesse de 100 milliards doit être remplie en 2023 ou 2024, et la prochaine cible devra être bien supérieure pour satisfaire les besoins des pays en développement pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique, qui se compterait en milliers plutôt qu’en centaines de milliards de dollars (2 400 milliards par an selon le rapport Songwe, Stern & Bhattacharya). Les discussions sur le montant du financement, mais aussi sur sa forme (emprunts, dons) et la mobilisation des acteurs privés se poursuivront, mais des premiers jalons ont été posés.
- La COP a aussi fait progresser l’idée d’une réforme du système financier international. L’agenda de Bridgetown, promu par la première ministre de la Barbade Mia Mottley, qui consiste en une refonte du FMI, de la Banque Mondiale et des banques multilatérales de développement pour débloquer des financements massifs pour les pays en ayant le plus besoin, a par exemple recueilli le soutien de la France. Une partie de cet agenda a été repris dans la décision finale, qui appelle explicitement à la réforme de ces institutions financières.
- À noter qu’un partenariat a été conclu entre l’Indonésie et plusieurs pays menés par le Japon et les États-Unis, afin de soutenir la transition énergétique de l’archipel, via un financement initial de 20 milliards de dollars et des objectifs chiffrés.
Causes du changement climatique : une stagnation par rapport à Glasgow
Principal sujet de la Conférence de Glasgow, dont l’objectif affiché était de maintenir en vie l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C, la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’a pas réellement progressé lors de celle-ci. Au moins, les éléments du Pacte de Glasgow en la matière ont été maintenus, ce qui n’était pas gagné. Plusieurs Etats souhaitaient en effet abandonner les références à la cible de 1,5 °C pour évoquer plutôt la barre des 2 °C, mais le G20 qui s’est tenu pendant la deuxième semaine a confirmé l’objectif initial.
Concernant les combustibles fossiles, la « réduction progressive du charbon » mentionnée dans le Pacte de Glasgow a été reprise en ces termes. L’Inde avait pourtant proposé de l’étendre à l’ensemble des combustibles fossiles, avec le soutien notamment de l’Union Européenne, les États-Unis, l’Australie et l’Amérique latine. Mais cette proposition, peu relayée par la présidence égyptienne, s’est heurté à l’opposition ferme de la Russie et de l’Arabie Saoudite.
Quelques initiatives en marge de la décision finale sont toutefois à signaler :
- le Tuvalu et le Vanuatu sont les premiers membres d’un traité de non-prolifération des combustibles fossiles,
- le groupe BOGA (pour « Beyond Oil and Gas Alliance ») créé à Glasgow pour sortir progressivement des hydrocarbures, a par ailleurs accueilli le Portugal et l’Etat de Washington ainsi que de nouveaux « Etats amis ».
Quant aux contributions déterminées nationalement, ces objectifs de réduction des émissions que les Etats se fixent, les progrès sont maigres. Le groupe des petits pays insulaires réclamait un programme de travail pour réduire les émissions globales dès maintenant et les diviser par deux d’ici 2030, tandis que l’Union Européenne souhaitait de nouveaux engagements en ligne avec l’objectif de 1,5 °C en échange de son soutien à un fond sur les pertes et dommages. Mais ils ont fait face au refus des pays en développement de prendre une part plus importante des efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre, renvoyant la responsabilité aux pays développés, à l’origine de l’essentiel des émissions passées.
Ces divergences ont eu raison de toute nouvelle ambition dans le texte final. Si celui-ci « constate avec inquiétude » que les contributions déterminées nationalement par les Etats ne permettraient de réduire les émissions de seulement 0,3 % en 2030 par rapport à 2019, loin des 43 % requis pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, il ne fait que répéter la demande faite à Glasgow aux États de soumettre de nouvelles contributions, sans leur imposer individuellement d’objectifs et sans mécanisme de sanctions. Un programme de travail a été lancé, à la fois pour rehausser les promesses des États et pour les réaliser.
Agriculture, sécurité alimentaire… d’autres enjeux à l’ordre du jour
Cette Conférence ne s’est bien entendu pas limitée à ces sujets.
- La question de l’agriculture et de la sécurité alimentaire a par exemple pris une place importante, avec des pavillons dédiés et la reconduction pour quatre ans de l’Action Commune de Koronivia pour l’Agriculture. Ce cycle d’ateliers instauré à Bonn lors de la COP23 devra contribuer à renforcer la sécurité alimentaire tout en promouvant une agriculture plus résiliente et moins émettrice. La question du système alimentaire n’y a, elle, pas été intégrée.
- La vulnérabilité des systèmes alimentaires mondiaux a été mentionnée dans la décision finale, tout comme, et c’est une nouveauté, les rivières, les solutions fondées sur la nature, le droit à un environnement sain ou encore les points de bascule. Le signe que les discussions climatiques traitent d’enjeux de plus en plus complets, profitant notamment du travail du GIEC.
Quelles suites ?
Avant de passer le relai à Dubaï, hôte de la COP28, une autre COP a cristallisé les attentes des défenseurs de l’environnement fin 2022 : la COP15 sur la biodiversité, hébergée à Montréal du 7 au 19 décembre – elle était initialement prévue en 2020 à Kunming (Chine). Des ponts ont été établis entre la Conférence égyptienne et la canadienne, lors de la journée de la COP27 dédiée à la biodiversité plusieurs personnalités clés de l’accord de Paris, dont Laurent Fabius, ont appelé à un accord d’une ampleur similaire, rappelant que les objectifs climatiques ne peuvent être atteints sans endiguer la destruction de la nature.
Sources : UNFCCC, Carbon Brief, IDDRI, Le Monde