COP28 : Bilan et enjeux clés de la Conférence de Dubaï (2023)

Comme attendu, la COP28 organisée à Dubaï aura été avant tout celle des énergies fossiles. Ce qui l’était beaucoup moins, c’est qu’elle pourrait marquer un tournant dans leur réduction. Retour sur les principaux enseignements de la COP28.

Cérémonie de clôture de la COP28 UNFCCC ©UNclimatechange/Flickr

À la fin d’une année 2023 qui aura battu tous les records de chaleur, quelques mois après la parution du 6e rapport d’évaluation du GIEC, les représentants des États se sont retrouvés à Dubaï pour la 28e Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, du 30 novembre au 13 décembre pour faire un premier bilan de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, et prendre de nouveaux engagements communs. Parmi les nombreux sujets évoqués, trois étaient particulièrement attendus :

Et contre toute attente, c’est sur ce dernier qu’une avancée majeure a été réalisée. 

De forts enjeux, mais des espoirs mesurés

Une COP cruciale…

La COP28 était un moment crucial dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris, dont elle marquait la fin du premier « Bilan mondial » (« Global Stockdale »). L’aboutissement de ce processus de 5 ans est l’occasion de faire le point sur les progrès collectifs, mais aussi d’accroître les ambitions pour corriger la trajectoire. Il est bien question de correction car dans un rapport publié en amont du sommet le PNUE annonçait qu’une poursuite des politiques actuelles mèneraient à un réchauffement global de 3 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et même l’atteinte de l’ensemble des promesses des États ne suffirait pas à le maintenir sous les 2 °C.

Alors que les émissions doivent baisser de 42 % d’ici 2030 pour s’embarquer dans une trajectoire 1,5 °C, le temps presse. Le principal enjeu de la conférence était donc de savoir ce qui figurerait dans le bilan mondial, et en quels termes.

De franches avancées étaient attendues à Dubaï, mais le contexte n’inspirait pas à l’optimisme, entre conflits internationaux et présidence contestée.

…lancée dans un climat de scepticisme

L’organisateur joue souvent un rôle important dans le succès ou l’échec d’une COP. C’est peu dire que la nomination de Sultan Al-Jaber, PDG de l’ADNOC – la compagnie pétrolière nationale d’Abu Dhabi – comme président de la COP28 avait répandu un épais nuage de scepticisme sur son issue. Un choix qui a provoqué l’ire des activistes, et une centaine d’élus européens et américains avaient demandé son retrait en mai dernier.

Cérémonie d’ouverture de la COP28 UNFCCC ©UNclimatechange

Diverses révélations en amont et pendant la COP n’ont fait que renforcer les accusations de conflits d’intérêt. Ainsi la BBC révélait que les Emirats cherchaient à profiter du sommet pour négocier des marchés gaziers et pétroliers, quelques jours avant que le Guardian ne diffuse une vidéo dans laquelle le Sultan Al-Jaber niait le consensus scientifique sur la nécessité de sortir des énergies fossiles pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, une option qui ramènerait selon lui « l’humanité à l’âge des cavernes »

Pourtant, l’homme politique et d’affaires émirati est devenu l’image de la COP qui a inscrit pour la première fois la réduction des énergies fossiles dans sa déclaration finale. Ce que n’avait pas su faire la gouvernance britannique à Glasgow deux ans plus tôt. Comment le fiasco annoncé par certains a-t-il été évité ? 

Le sort des énergies fossiles, star des négociations 

LE sujet brûlant à Dubaï 

C’est un symbole de l’influence du secteur des énergies fossiles. Mais peut-être aussi le signe de son inquiétude ?

Messages sur le lieu de la COP28 UNFCCC ©UNclimatechange
Messages sur le lieu de la COP28 UNFCCC ©UNclimatechange

Dans sa première adresse aux délégués, le Sultan Al-Jaber avait assuré qu’aucun sujet ne serait écarté des négociations. Y compris celui des énergies fossiles. Un communiqué publié dès le lendemain par la présidence de la COP et l’Agence Internationale de l’Énergie le confirmait : « la demande et l’offre en combustibles fossiles doivent se réduire progressivement cette décennie », annonçait-il.  

Les négociations ont ensuite battu leur plein pendant la deuxième semaine autour de l’inclusion et de la formulation d’une disposition mentionnant les énergies fossiles, allant au-delà de celle de Glasgow qui n’évoquait que la diminution progressive du charbon. Une phrase dont chaque mot compte pour marquer une ambition nouvelle tout en atteignant le consensus nécessaire pour être adoptée :

L’atteinte d’un consensus est, en tous cas, apparue comme un objectif personnel pour le président, et comme une condition de succès diplomatique pour le pays hôte. 

« Unabated », quand le diable se cache dans les détails 

Le terme « unabated », qui peut se traduire par « non atténué », renvoie aux énergies fossiles qui ne sont pas adossées à des technologies de captage et d’utilisation du carbone. Il est apparu associé au charbon dans la déclaration de Glasgow il y a 2 ans. Un seul mot, dont la définition même fait débat, qui change beaucoup de choses : les pays producteurs d’hydrocarbures y voient un moyen de continuer à en exploiter, en se basant sur des technologies encore peu déployées et incertaines, capables d’abattre une partie plus ou moins grande des gaz à effet de serre émis. 

D’une version à l’autre 

Les premières versions du texte final ne tranchaient pas, faisant apparaître différentes options, traduisant les volontés opposées entre les pays. Le 11 décembre, soit l’avant-dernier jour selon le programme prévu, c’est la stupeur : le projet publié, très prudent, évacue la « sortie » des énergies fossiles, met davantage l’accent sur la baisse des émissions pour ne pas les cibler spécifiquement, et ouvre la voie aux techniques de captage de carbone encore incertaines pour continuer à les exploiter. Un compromis plus proche des aspirations des pays producteurs de l’OPEP, jugé décevant et insuffisant par les ONG, mais aussi l’Union Européenne, les petits Etats insulaires et des pays d’Amérique latine. 

Finalement, les derniers efforts de ces derniers ont été fructueux : la dernière version, plus ambitieuse a été présentée le 13 décembre, et approuvée dans la foulée sous les cris et applaudissements de la salle plénière. 

Cop28 president hails ‘historic’ deal to transition away from fossil fuels

Le début de la fin pour les énergies fossiles ? 

Dans ce texte, pas de sortie (« phase out ») certes, mais un appel à une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques » (« transitioning away from fossil fuels in energy systems »), et à « accélérer l’action dans cette décennie décisive », afin « d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 ». La section sur l’énergie appelle également à accélérer les efforts pour réduire progressivement le charbon non atténué (« unabated coal power »), accélérer le développement de technologies bas-carbone comme le nucléaire, le captage de carbone et l’hydrogène bas-carbone, à tripler la production d’énergies renouvelables et à doubler l’efficacité énergétique d’ici 2030. 

Le compromis final a satisfait la plupart des délégués, moins les activistes ou certains représentants des petits Etats insulaires. Au-delà d’une formulation qui – consensus oblige – reste encore trop vague et ambiguë pour sonner le glas du développement des énergies fossiles (notons les références au captage de carbone ou la reconnaissance discrète du rôle du gaz dans la transition), les lacunes du texte sur le financement de la transition bas-carbone des pays en développement par les développés sont particulièrement pointées du doigt. 

Reste qu’appeler à une transition hors des énergies fossiles à Dubaï, le symbole est fort. Au-delà de l’ironie, qu’un pays producteur d’hydrocarbures soit aux manettes d’un tel accord est loin d’être anodin : cela pourrait lui conférer une crédibilité et une portée historique. 

À noter qu’en parallèle, de nouveaux membres ont rejoint les alliances nouées à Glasgow pour sortir du charbon unabated (Powering Past Coal Alliance, dont les États-Unis) et de toutes les énergies fossiles (Beyond Oil and Gas Alliance). 

Adaptation et pertes et dommages 

Premier succès – symbolique – dès le premier jour sur les pertes et dommages 

C’était une des grandes avancées de la COP27, tenue à Charm el-Cheikh (Egypte) : la création au bout des prolongations d’un fonds d’aide pour répondre aux « pertes et dommages », ces dommages inévitables causés par le changement climatique pour lesquels les pays en souffrant demandaient réparation aux responsables depuis plus de 30 ans. Mais les modalités restées floues pouvaient laisser craindre une coquille vide.  

Cette fois, grâce à un important travail de fond en amont, la question a été « réglée » dès la journée d’ouverture, avec un accord autour d’un mécanisme de financement sous l’égide de la Banque mondiale et les premiers versements.  

Les pays vulnérables repartent déçus des discussions sur l’adaptation 

C’était un autre enjeu phare des négociations : l’adoption du cadre de l’Objectif mondial d’adaptation (OMA), un concept introduit par l’Accord de Paris. Pour mettre en œuvre ce concept encore assez flou, le programme de travail Glasgow-Sharm El-Sheikh avait été lancé il y a deux ans, avec pour mission d’établir un cadre opérationnel à Dubaï.  

Manifestations de la société civile lors de la COP28 à Dubaï UNFCCC ©UNclimatechange/Flickr

Très attendu par les pays les plus vulnérables au changement climatique, il a été éclipsé par les négociations sur les énergies fossiles et les annonces sur les pertes et dommages. Les États se sont accordées sur les thèmes couverts par l’OMA et discuté de sous-objectifs. En revanche, le texte final est resté extrêmement vague sur la question des moyens pour mettre en œuvre ces objectifs, en particulier sur le soutien apporté par les pays développés.  

Une issue décevante, notamment pour les pays africains, qui ne manqueront pas de remettre le sujet de l’adaptation au premier plan lors de la prochaine COP à Bakou, en Azerbaïdjan. 

Et après ? 

Lors de la clôture, le relai a été passé aux deux prochains organisateurs : l’Azerbaïdjan (COP29) et le Brésil. Ce dernier, qui compte faire de la COP30 celle de la déforestation, a d’ailleurs posé les bases d’un ambitieux mécanisme de financement pour préserver les forêts tropicales. C’est aussi lors de cette COP que seront examinées les promesses des États à l’horizon 2035. Le texte final du Bilan mondial a invité les Parties à les soumettre, en notant avec inquiétude que des réductions supérieures aux promesses actuelles sont requises pour respecter l’Accord de Paris. 

C’est sans doute le message – inespéré – envoyé aux énergies fossiles que l’on retiendra de cette COP.  Parce que c’est une première. Parce qu’il a été approuvé par les pays producteurs, et rédigé par l’un deux. Mais s’en souviendra-t-on comme le moment où l’humanité a commencé à s’en détourner ?

Il était bien-sûr trop tôt au sortir de la Conférence pour le savoir. Les ambitions affichées devaient encore être réaffirmées et clarifiées au niveau mondial, et se traduire en législations et actions concrètes au niveau national. Mais l’espoir semblait un peu plus grand que deux semaines plus tôt.