Rapport du GIEC, 3ᵉ volet : l’atténuation du changement climatique
Le troisième groupe de travail du GIEC a rendu son rapport. Après le premier consacré à l’évolution passée et à venir du climat, le deuxième consacré aux impacts, à l’adaptation et à la vulnérabilité au changement climatique, ce troisième évoque l’atténuation, en d’autres termes la réduction du réchauffement. Il ne reste plus que le rapport de synthèse pour clore ce sixième cycle d’évaluation.
Ce rapport de près de 3 000 pages a été rédigé par 278 auteurs principaux issus de 65 pays. Il s’appuie sur plus de 18 000 articles scientifiques et a fait l’objet de près de 60 000 commentaires. Il propose un bilan de l’action climatique et de l’évolution des émissions de la dernière décennie, dresse les scenarios pour nous montrer les voies à emprunter pour limiter nos émissions futures et donc le réchauffement à venir, et analyse de nombreuses solutions, à la fois globales et par secteur.
Il alarme sur la hausse continue des émissions, qui ont atteint leur plus haut niveau dans l’Histoire humaine malgré une prise de conscience croissante, les promesses faites et les progrès, notamment technologiques, réalisés. Cela rend les trajectoires pour rester sous les 1,5 °C ou 2 °C d’autant plus raides : elles impliquent de plafonner les émissions au plus tard en 2025 avant une baisse drastique jusqu’à la neutralité carbone vers 2050 (1,5 °C) ou 2070 (2 °C). Y parvenir va nécessiter des transformations profondes de nos sociétés et dans chaque secteur (énergie, transport, utilisation des sols et agriculture, industrie), mais le rapport estime que l’inaction serait encore plus coûteuse. Le rapport met aussi davantage l’accent sur les changements de comportements et les questions sociales que lors du cycle précédent. Sobriété, développement des énergies renouvelables et des mobilités douces, électrification, changement des régimes alimentaires, préservation des écosystèmes, élimination du carbone… même si les actions tardent à venir, les pistes ne manquent pas.
Le rapport de cette semaine a montré que nous sommes sur la voie rapide vers la catastrophe climatique. Mais nous ne devons pas perdre espoir. Nous devons nous appuyer sur les progrès réalisés – menés par les jeunes, la société civile et les populations autochtones – et exiger que les promesses se transforment en réalité.
Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies
Les émissions continuent d’augmenter : autopsie d’un d’échec
Depuis le dernier rapport du troisième groupe de travail, qui remonte à 2014, des avancées ont été réalisées. Mais ces actions sont largement insuffisantes pour maintenir, comme le stipule l’Accord de Paris, le réchauffement nettement sous les 2 °C à la fin du siècle. « Cela n’est pas plausible sans une action urgente et ambitieuse à toutes les échelles », pose le rapport. Il revient sur les progrès réalisés, les mettant en perspective avec les efforts à accomplir.
Des niveaux d’émissions jamais atteints dans l’histoire humaine
La hausse des émissions de gaz à effet de serre a ralenti lors de la décennie écoulée (1,3 % par an) par rapport à la précédente (2,1 %), surtout dans l’énergie et l’industrie. Mais cela veut bien dire qu’elles ont continué à augmenter, de 6,5 milliards de tonnes d’équivalent CO2 par an entre ces deux décennies. Jamais dans l’histoire humaine n’ont-elles été aussi élevées. En 2019, elles s’élevaient à 59,6 milliards de tonnes. 12 % de plus qu’en 2010. 54 % de plus qu’en 1990.
La tendance nous place loin de la trajectoire pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C : les émissions cumulées de la décennie 2010-2019 sont équivalentes au budget carbone restant pour limiter le réchauffement à 2 °C.
Un budget carbone correspond à la quantité de CO2 qu’il reste à émettre avant de dépasser un objectif de réchauffement. Chaque année, les nouvelles émissions nettes de CO2 sont retranchées à ce budget.
De fortes inégalités dans l’origine des émissions
Si les émissions augmentent dans toutes les régions du monde, avec une part croissante de l’Asie de l’Est qui comptait pour 27 % des émissions globales en 2019, l’Amérique du nord et l’Europe sont les plus émettrices en regardant les émissions historiques cumulées. De plus, c’est en Amérique du Nord, de loin, que l’on trouve la plus forte quantité de gaz à effet de serre émise par habitant·e (19 tonnes d’équivalent CO2), bien plus qu’en Afrique (3,9) ou qu’en Asie du Sud (2,6). De manière générale, les pays développés historiquement restent les principaux responsables du changement climatique.
Emissions anthropiques nettes de CO2 historiques cumulées par région (1850-2019), et émissions nettes de gaz à effet de serre par tête et pour la population totale, par région (2019)
Les inégalités sont également visibles au sein des populations, ainsi les 10 % de ménages aux revenus le plus élevé contribuent à entre 36 et 45 % des émissions de gaz à effet de serre, les deux tiers vivant dans des pays développés.
Combustibles fossiles : la bombe climatique n’est pas désamorcée
La croissance des émissions liées au charbon a ralenti depuis 2010, mais elle pourrait persister et les centrales à charbon existantes engloutiraient à elles seules le budget carbone pour rester sous les 1,5 °C. Plus globalement, les émissions projetées des infrastructures de combustible fossile existantes et planifiées se rapprochent du budget carbone restant pour ne pas dépasser les 2 °C. Respecter les objectifs climatiques nécessite non seulement de démanteler des centrales existantes, mais aussi de se priver de l’utilisation des ressources inexploitées.
Pendant le confinement, une réduction des émissions très passagère
Même si le confinement a entraîné à une baisse de 5,8 % des émissions entre 2019 et 2020, elles ont déjà rebondi et les plans de relances soutiennent les industries fossiles. Les dépenses pendant cette période, qui ont creusé les dettes publiques, pourraient de plus priver l’action climatique de ressources importantes. Si cette crise pourrait détourner les efforts de l’atténuation, elle représente aussi une opportunité pour accélérer des changements économiques d’ampleur.
Des engagements insuffisants et des politiques publiques loin du compte
Au niveau global, l’Accord de Paris a permis de dépasser plusieurs écueils du Protocole de Kyoto. Toutefois, il s’est décliné en promesses déterminées nationalement insuffisantes pour respecter ses objectifs. Et si de nombreux pays et villes ont affiché des cibles – souvent ambiguës – de neutralité carbone pour le milieu du siècle, les politiques permettant de les atteindre ne sont pas mises en place.
Selon l’Accord de Paris, les États doivent soumettre des « Contributions Déterminées au niveau national », correspondant à des objectifs d’émissions futures qui devront être suivis d’actions nationales. Ces contributions doivent être réévaluées à chaque soumission.
Certaines ont tout de même été menées, dans 56 pays. De nouvelles normes ont augmenté l’efficacité énergétique, des mesures ont réduit le taux de déforestation, et les marchés d’émissions et les taxes carbone couvrent désormais 20 % des émissions globales de CO2, même si les autres gaz à effet de serre et les émissions en dehors du secteur énergétique sont assez peu couvertes. Mais signe de l’écart entre les objectifs et les mesures concrètes, les cibles climatiques couvrent au moins 90 % des émissions globales de gaz à effet de serre, les lois climatiques seulement 53 %.
Le rapport pointe les interactions entre les politiques publiques, l’économie et les relations de pouvoir pour expliquer pourquoi de grands engagements ne sont pas toujours traduits en actions urgentes.
Le développement de certaines technologies prometteur mais ne suffit pas encore à réduire les émissions
Une transition énergétique rapide est rendue possible par les progrès de technologies bas-carbone. Ceux des panneaux photovoltaïques, de l’éolien off-shore et des batteries ont surpassé les projections du précédent rapport, constituant un des principaux succès de ces dernières années. En revanche, le développement du nucléaire et de la capture du carbone a été lui plus lent qu’anticipé. Et leur déploiement reste insuffisant pour atteindre les objectifs climatiques.
La décarbonation de procédés industriels à travers l’électrification, l’hydrogène ou les technologies de capture de carbone, a été démontrée, sans empêcher les émissions de l’industrie et la demande en matières premières d’augmenter.
L’électrification des transports publics a fait ses preuves, et les véhicules électriques sont ceux qui se développent le plus rapidement dans l’industrie automobile. Toutefois, cela n’a pas permis de réduire les émissions du secteur des transports, en raison notamment d’un trafic important, d’un développement centré sur la voiture individuelle et du succès de véhicules lourds et peu efficients.
La mobilisation des acteurs non-étatiques tarde à porter ses fruits
Les entreprises ont pris des mesures pour limiter leurs émissions ou investi dans la reforestation, l’activisme climatique s’est développé et la couverture médiatique des enjeux climatiques s’est améliorée. Mais des effets clairs sur l’atténuation n’ont pas été observés, alors que des groupes d’intérêts contre l’action climatique persistent et des mouvements contribuent à la désinformation et à saper le travail scientifique.
Les chemins pour atteindre nos objectifs climatiques
Tendances actuelles et trajectoires à suivre
L’urgence n’a jamais été aussi claire : nous devons plafonner nos émissions de CO2 au plus tard en 2025 pour s’aligner sur les trajectoires de limitation du réchauffement à 1,5 °C ou 2 °C. Puis :
- Pour avoir ne serait-ce qu’une chance sur deux de limiter le réchauffement à 1,5 °C, nous devrons ensuite réduire ces émissions de 43 % d’ici 2030, et atteindre la neutralité carbone au début des années 2050.
- Pour le limiter à 2 °C (avec une probabilité de 67 %), nous devrons réduire les émissions de 27 % d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone au début des années 2070.
Le tout sans oublier des réductions considérables des émissions des autres gaz à effet de serre, méthane en tête (de 34 % d’ici 2030 et de 84 % d’ici 2050 pour la trajectoire 1,5 °C).
« Limiter le réchauffement à 1,5 °C sera inatteignable sans réductions immédiates et conséquentes. »
Deux écarts doivent être comblés :
- « L’écart d’émissions », soit la différence entre les émissions à venir permettant de respecter l’Accord de Paris et celles induites par les promesses de réduction, qui en l’état rendent inatteignable l’objectif des 1,5 °C et supposent des efforts considérables après 2030 pour avoir une chance de limiter le réchauffement à 2 °C.
- « L’écart de mise en œuvre », soit la différence entre les promesses et les conséquences des politiques existantes, qui mèneraient vers un réchauffement compris entre 2,4 °C et 3,5 °C à la fin du siècle.
Différentes trajectoires d’émissions globales de gaz à effet de serre
A quoi correspondent les scenarios étudiés ?
Plus de 2 000 trajectoires d’émissions constituent la base de données des scenarios pour ce cycle de rapport. Parmi elles, de nombreuses montrent comment avoir une chance de limiter le réchauffement à 1,5 °C, mais la probabilité de cette éventualité a baissé depuis le rapport spécial de 2018. Un petit nombre a été sélectionné en guise d’illustration. On retrouve deux types de scenarios : ceux (les IMP) représentent une stratégie d’atténuation clé (sobriété, développement des renouvelables, recours massif à l’élimination du carbone…), et ceux (les SSP) qui décrivent des tendances possibles pour l’évolution des sociétés au cours du siècle, selon différents modes de développement et de relations entre les États. S’ils empruntent des chemins différents, tous les scenarios respectant l’accord de Paris ont en commun une réduction considérable des émissions dans chaque secteur. Avant d’évoquer les pistes pour les décarboner dans la partie suivante, il convient de mettre en avant les pistes globales développées par le rapport.
Changer de modèle de développement
Des actions transformatives dans tous les secteurs (énergie, transports, bâtiment, industrie, agriculture, consommation…) sont nécessaires, mais aussi dans les sociétés.
Le rapport insiste ainsi sur le besoin de changer « les voies de développement ». Propres à chaque société, celles-ci correspondent aux modèles de développement qui résultent des décisions prises par les différents acteurs des échelles nationales et globales. Pour les auteurs, ils sont au cœur du problème, et sans en changer il ne sera peut-être pas possible de réduire suffisamment les émissions, ou alors avec des coûts économiques et sociaux considérables. Ils recommandent des voies plus soutenables, qui prennent en compte les autres Objectifs du Développement Durable. Un exemple à l’échelle de la ville : promouvoir un modèle autour de la marche tout en électrifiant les usages et en développant les énergies renouvelables, pour réduire les émissions tout en améliorant la santé et en réduisant l’étalement urbain.
Dévier de ces voies de développement implique des changements technologiques, systémiques et comportementaux d’une telle ampleur que cela semble très difficile. Mais pour le rapport, l’Histoire a montré que les décisions des responsables politiques, des citoyen·nes, du secteur privé ou de la société civile ont un poids réel. Les mouvements sociaux et les changements de mode de vie a un rôle décisif à jouer, et des politiques larges et ambitieuses, ne se contentant pas de demi-mesures, ont le potentiel pour réaliser ces changements et réduire rapidement les émissions.
Mettre en place une transition juste
Les évolutions nécessaires des sociétés ne toucheront pas tout le monde de la même manière, c’est pourquoi le rapport insiste sur le concept de « transition juste » et donne une place plus importante aux questions sociales par rapport au cycle précédent. Celle-ci doit assurer qu’aucun individu, travailleur, endroit, secteur, pays ou région de soient laissé de côté lors du passage à une économie bas-carbone. Cela passe par exemple par la création d’emplois décents, un accès équitable à l’énergie ou par des consultations citoyennes.
La question de la justice peut aussi être mise en lien avec la dimension inégalitaire des émissions évoquée précédemment. Le rapport alerte sur le risque qu’une augmentation des inégalités au sein d’un pays aurait sur la cohésion sociale et sur l’acceptabilité, pas les plus riches comme les plus pauvres, de mesures climatiques qui affecteraient les modes de vie.
La sobriété : un levier d’atténuation clé
Autre nouveauté de ce rapport, la question de la demande pour les biens et les services y est largement développée. Les changements de comportements ont été négligés par la majorité des scenarios étudiés, pourtant des comportements sobres faciliteraient considérablement l’atteinte des objectifs climatiques, la dépendance à l’élimination du carbone ou la pression sur les terres. Ils limiteraient également le recours à des technologies incertaines ou controversées.
Leur potentiel d’atténuation serait majeur : ils permettraient de réduire les émissions de 40 à 70 % d’ici 2050 (par rapport aux projections de référence), à condition qu’ils soient accompagnés par des politiques, des infrastructures et des technologies adéquates. Le tout en améliorant notre santé et notre bien-être. 60 changements de comportements sont listés, parmi eux :
- Développer la marche et le vélo pour remplacer l’utilisation de véhicules polluants, le changement au plus grand potentiel d’atténuation ;
- Réduire le trafic aérien ;
- Adopter des régimes à dominance végétale ;
- Réduire les consommations d’énergie dans les logements.
Les auteurs considèrent que les mesures sanitaires suite à l’épidémie de Covid-19 ont démontré qu’un changement de comportement rapide à large échelle était possible.
Des pistes d’action pour chaque secteur
Energie : sortir des énergies fossiles au plus vite
« Le réchauffement ne peut pas être limité à 1,5 °C ou 2 °C sans des réductions rapides et conséquences des émissions de CO2 et de méthane du système énergétique », établit le rapport. Cela implique des transitions majeures qui représentent un tiers des émissions globales (14 milliards de tonnes de CO2), visant à se débarrasser de l’utilisation de combustibles fossiles, à commencer par celle du charbon dont les émissions baissent d’entre 67 et 82 % d’ici 2030 dans les scenarios alignés sur l’objectif de 1,5 °C. Plusieurs approches complémentaires sont avancées pour décarboner le secteur.
Parmi les technologies bas-carbone, les énergies renouvelables ont le vent en poupe ces dernières années. L’énergie produite par les panneaux photovoltaïques a augmenté de 170 % entre 2015 et 2019, pendant que celle des éoliennes grimpait de 70 %. Grâce aux progrès de ces technologies, elles sont devenues très compétitives par rapport aux énergies fossiles et constituent une solution d’atténuation relativement peu coûteuse. Le développement des batteries et de l’hydrogène, qui permettent de stocker l’électricité issue de renouvelables lorsqu’elle n’est pas utilisée directement, devrait en outre améliorer la viabilité de systèmes énergétiques fondés principalement sur ces énergies.
Evolution du coût et du déploiement de plusieurs technologies (2000-2020)
Le rapport rappelle néanmoins la difficulté d’alimenter des systèmes énergétiques uniquement à partir d’énergies renouvelables, et évoque les autres sources décarbonées, dont l’hydraulique et le nucléaire, qui se sont développés moins rapidement que prévu dans le dernier cycle d’évaluation. Le rapport estime que pour que le nucléaire puisse assurer une production bas-carbone à grande échelle, des progrès sont nécessaires dans la construction des nouveaux types de réacteurs, sujets à des dépassements de budget, sensés réduire les coûts de production d’énergie, tout en faisant face aux forts investissements de départ, à la problématique de la gestion des déchets et à une acceptabilité publique et politique variable. Quant à la biomasse, il souligne que cette solution, pertinente dans certains cas, soulève des préoccupations pour la biodiversité et la sécurité alimentaire.
Électrifier les bâtiments, les transports et l’industrie est un levier essentiel. La part de l’électricité dans la consommation finale d’énergie, qui est d’aujourd’hui 20 %, devra s’élever à au moins 42 % en 2050 pour rester sous les 2°C d’après les scenarios testés. Même dans les scenarios où la consommation globale d’énergie diminue, celle de l’électricité augmente, d’où l’importance de décarboner sa production en parallèle. Pour les secteurs dont l’électrification n’est pas possible, d’autres vecteurs d’énergie comme l’hydrogène, la bioénergie ou l’ammoniaque devront remplacer les combustibles fossiles. A noter que les auteurs préconisent l’utilisation directe de l’électricité plutôt que le recours à l’hydrogène là où cela est possible.
Comme évoqué dans la partie précédente, agir sur la demande en énergie est incontournable pour respecter l’accord de Paris. L’énergie devra également être utilisée plus efficacement qu’aujourd’hui. Dans la plupart des scenarios limitant le réchauffement sous les 2 °C, la capture et le stockage du carbone joue un rôle important.
Industrie : une difficile décarbonation
Second secteur émetteur, comptant pour près d’un quart des émissions (24 %) en 2019, rendre l’industrie neutre en carbone et difficile, mais pas impossible. Cela implique d’utiliser les matériaux et l’énergie de la manière la plus efficace possible. L’économie circulaire, à travers la réutilisation, le recyclage et la réduction des déchets, peut contribuer à réduire la demande en matières premières.
Les procédés industriels devront évoluer, en s’appuyant sur l’électrification et l’utilisation de l’hydrogène décarboné, sur l’utilisation de matières premières bas-carbone, sur la réutilisation de matière ou encore sur la capture et l’utilisation de CO2. Des procédés peu ou non carbonés de fabrication de matériaux de base (acier, matériaux de construction, produits chimiques) sont au stade de pilote ou proche de la commercialisation. Ces changements impliquent le déploiement de nouvelles infrastructures, mais aussi la fermeture ou la conversion d’équipements industriels existants. Le recours aux techniques de capture et de stockage de carbone sera nécessaire pour atténuer les émissions dites résiduelles, que l’on ne parviendra pas à réduire.
Transports : des changements comportementaux et technologiques
Quatrième secteur le plus émetteur (15 % des émissions de 2019), le décarboner nécessite là aussi des changements transformateurs. Alors que le nombre de voyages augmente avec la croissance de la population et du PIB, les émissions du secteur, qui continuent de croître sans fléchir, pourraient augmenter de 65 % d’ici 2050 sans des mesures d’atténuation… qui pourraient les réduire de 68 %.
Il est essentiel d’agir sur la demande, en accompagnant les changements de comportements. Le confinement a permis d’explorer plusieurs pistes, notamment le télétravail et le recours aux mobilités actives, qui s’ajoutent par exemple à la réduction du trafic aérien. Réduire le nombre et la distance des trajets passe également par des changements plus structurels, comme changer la forme des villes pour les rendre plus denses qui permettrait de réduire d’un quart les émissions du transport urbain d’ici 2050.
Du côté de l’offre, la mobilité électrique, dont le développement est un changement majeur depuis le dernier cycle de rapports, offre un grand potentiel pour décarboner des modes de transport – à condition de décarboner la production d’électricité. Moins émetteurs que leurs équivalents thermiques lorsqu’ils sont chargés avec une électricité peu carbonée et intéressants économiquement sur l’ensemble de leur durée de vie, « les véhicules électriques offrent le plus grand potentiel bas-carbone pour le transport terrestre » d’après le rapport, y compris pour les camions grâce aux progrès à venir des batteries. Il n’oublie cependant pas de signaler les enjeux en termes de droits humains, de pollutions et de disponibilité et coûts des ressources liés à l’utilisation des batteries, mettant l’accent sur l’importance de leur recyclage. Le potentiel des véhicules à hydrogène, dont les infrastructures sont moins développées, est considéré comme plus limité pour le transport routier, mais l’hydrogène est une piste pour décarboner le transport naval et aérien, tout comme l’ammoniaque, les biocarburants et les carburants de synthèse. Ces alternatives nécessitent toutes de faire leurs preuves et/ou des avancées technologiques pour jouer un rôle significatif.
Les villes : un rôle croissant et central
Entre 67 et 72 % des émissions globales sont attribuées aux villes, en comptabilisant la consommation des urbains, une part qui ne cesse de croître. L’urbanisation à venir devrait rejeter des quantités importantes de gaz à effet de serre, particulièrement dans les pays en développement, et pourrait menacer des stocks de carbone naturels puisque les zones urbaines pourraient tripler de superficie d’ici 2050. Cette urbanisation sera d’autant plus décisive que la forme que les nouvelles villes prendront déterminera les comportements et les modes de vie de ses habitant·es, et donc les émissions futures.
L’importance des villes est donc fondamentale, d’autant plus qu’en concentrant les habitant·es et les activités, elles peuvent contribuer à réduire les émissions futures et à optimiser l’utilisation des ressources, à condition de travailler sur l’urbanisme. Elles ne pourront atteindre la neutralité carbone sans des politiques ambitieuses impliquant des transformations systémiques. Le rapport évoque trois stratégies principales à mener en parallèle :
- Réduire la consommation d’énergie dans tous les secteurs, grâce notamment à une forme urbaine compacte et des infrastructures favorisant des trajets courts et des modes décarbonés (marche, vélo) – une planification efficace réduirait les consommations d’énergie d’environ un quart – ou à des bâtiments passifs en énergie, nécessitant de rénover massivement les bâtiments existants.
- Électrifier les usages et s’orienter vers des sources d’énergie décarbonées. La part de l’électricité dans la consommation urbaine d’énergie augmente dans tous les scenarios, surtout pour les moins émetteurs, tandis que celle du gaz chute rapidement.
- Améliorer la capture et le stockage du carbone dans les villes en développant les espaces verts, les arbres, les mares ou encore les toitures végétalisées, dont les bénéfices dépassent la simple atténuation.
Utilisation des sols et systèmes alimentaires : des enjeux multiples
Le secteur de « l’agriculture, de la foresterie et des autres usages des sols » (AFOLU en anglais) revêt de nombreux enjeux. Source importante d’émissions (environ 22 % des émissions globales), il offre un potentiel important de séquestration du carbone, pourrait contribuer à remplacer les combustibles fossiles, et a un rôle à jouer pour protéger la biodiversité.
Le rapport estime que ce secteur pourrait contribuer à entre 20 et 30 % des réductions d’émissions nécessaires au respect de l’Accord de Paris, à travers des solutions peu coûteuses et rapides à mettre en œuvre :
- Le principal levier réside dans la protection et la restauration d’écosystèmes naturels (forêts, tourbières, zones humides côtières, savanes, prairies) qui éliminent du carbone.
- Viennent ensuite les mesures concernant l’agriculture, en améliorant par exemple la gestion des sols de telle sorte à ce qu’ils séquestrent davantage de carbone, et celle des cultures et des élevages pour les rendre plus soutenables.
- Enfin, l’évolution de la demande, à travers notamment l’évolution des systèmes alimentaires (voire ci-dessous) ou le développement de la construction bois ou des bio-textiles.
Il avertit toutefois sur la concurrence pour les terres entre la nature, l’agriculture et les habitations, qui devront être gérées avec précaution. Il rappelle également que le sol ayant une capacité de capture et de stockage de carbone limitée, il ne peut pas compenser ou retarder les réductions d’émissions dans les autres secteurs.
Les systèmes alimentaires, auxquels sont associées entre 23 et 42 % des émissions globales, font l’objet d’une attention particulière. Des changements sont nécessaires du producteur au consommateur. Adopter des régimes riches en protéines végétales et pauvres en viande et en produits laitiers permet de réduire à la fois les émissions de gaz à effet de serre – sachant que les protéines issues des ruminants comme les vaches ou les moutons sont les plus émettrices – et l’utilisation de terres, d’eau et de nutriments, sans compter les effets bénéfiques pour la santé. Des technologies émergentes de production de nourriture, telles que les alternatives végétales aux produits carnés ou la fermentation cellulaire pourraient, elles aussi, y contribuer significativement. Le gaspillage alimentaire est également visé puisqu’il serait responsable de 8 à 10 % des émissions totales à gaz à effet de serre entre 2010 et 2016.
L’élimination du dioxyde de carbone : une nécessité pour atteindre la neutralité carbone
Les méthodes d’élimination du carbone (en anglais CDR, pour Carbon Dioxyde Removal) sont des éléments centraux des scenarios alignés sur l’Accord de Paris. Elles sont en effet nécessaires pour contrebalancer les émissions difficiles à éliminer, notamment celles de l’agriculture, de l’aviation ou de l’industrie. Ces méthodes, qui peuvent être naturelles ou technologiques, consistent à capter le carbone de l’atmosphère pour le stocker dans les sols, les sous-sols ou les fonds océaniques.
La plus connue et la plus développée est la reforestation, ou plus largement la gestion des sols, mais celle qui prend le plus de place en moyenne dans les scenarios limitant le réchauffement à 2 °C est la bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS en anglais), qui consiste à faire pousser des plantes à forte croissance, puis à les brûler pour produire de l’énergie tout en capturant le carbone émis lors de la combustion et en le stockant définitivement. Une technique qui fait débat, notamment depuis le dernier cycle de rapports, notamment en raison de son impact sur la biodiversité. Certains scenarios comprennent également de la capture directe du carbone dans l’air (DACCS en anglais) grâce à des machines utilisant des processus chimiques. Une technique encore très coûteuse et énergivore. « L’altération forcée » (« Enhanced weathering »), consistant à utiliser les propriétés de minéraux en surface qui capturent du carbone, et les méthodes océaniques, qui renforcent les processus naturels de capture du carbone des océans, pourraient aussi jouer un rôle, plus limité. Les nouvelles technologies requièrent encore de la recherche, des investissements et de faire leurs preuves avant d’être largement utilisées, et ne peuvent donc pas se substituer à une réduction rapide des émissions.
GtCO2 retirées de l’atmosphère dans les scenarios permettant de limiter le réchauffement à 2 °C ou moins par les principales méthodes d’élimination de CO2
Méthode | Gestion des sols | BECCS | DACCS |
Médiane des scenarios (valeurs extrêmes) | 252 (20-418) | 328 (168-763) | 29 (0-339) |
Le bon fonctionnement des systèmes d’élimination du carbone requiert des procédés communs pour la mesure, le reporting et la vérification, pour pouvoir s’assurer par exemple que les tonnes de carbone annoncées sont bel et bien stockées ou pour éviter de les comptabiliser plusieurs fois.
Les efforts pour mettre en en œuvre les solutions
Si les principales solutions d’atténuation, évoquées précédemment, sont connues, elles doivent être déployées en comblant les manques politiques et financiers.
Mettre en place des politiques ambitieuses
Différents instruments ont démontré leur efficacité, que ce soient :
- Des instruments règlementaires : normes d’efficacité énergétique et de consommation des véhicules, codes de construction, documents d’urbanisme…
- Des instruments économiques : subventions, taxes carbone, marchés d’émissions…
Il convient désormais de les renforcer et de les étendre significativement, en s’adaptant aux différents contextes, et le rapport préconise de combiner ces deux types d’instruments qui ont chacun leurs avantages et leurs limites. Par exemple ceux qui consistent à fixer un prix du carbone ont tendance à encourager les mesures d’atténuation peu coûteuses, mais ont davantage de difficultés à inciter à poursuivre des actions plus coûteuses pourtant nécessaires. Le rapport insiste sur l’aspect social des instruments économiques, pour garantir leur équitabilité et leur acceptabilité, par exemple en redistribuant les revenus des taxes ou les économies réalisées par l’arrêt de subventions aux énergies fossiles, qui peuvent affecter les populations vulnérables.
Selon les auteurs, ces mesures doivent pour être efficaces s’inscrire dans des politiques larges, avec une vision de long terme, coordonnées entre les gouvernements, en cherchant un consensus entre des acteurs disparates, impliquant la société civile, les entreprises ou encore les populations autochtones.
Mobiliser les fonds nécessaires
Respecter l’Accord de Paris nécessitera de mobiliser des investissements pour l’adaptation bien plus conséquents qu’actuellement. Les flux financiers actuels seraient en effet 3 fois trop faibles par rapports à ceux requis à la fin de la décennie pour limiter le réchauffement à 2 °C, et même 6 fois trop faibles pour viser les 1,5 °C. Un écart encore plus grand pour les pays les moins développés. Toutefois, le rapport affirme que le capital suffisant est disponible. L’enjeu est donc de rediriger les flux existants vers l’atténuation, tout particulièrement dans des régions vulnérables comme l’Afrique Sub-Saharienne. L’objectif des 100 milliards de dollars par an promis par les pays développés aux pays en développement est d’ailleurs rappelé.
L’atténuation : une opportunité à saisir
Un intérêt économique évident à agir
Sur le plan économique, l’action climatique ne représenterait pas un coût démesuré. Il serait possible de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 avec des mesures coûtant moins de 100 dollars par tonne de CO2 abattue, une grande partie coûtant même moins de 20 dollars par tonne, dont l’énergie solaire ou éolienne, la protection des écosystèmes naturels ou les mesures sur le méthane. En termes de PIB, l’action climatique ne réduirait la croissance économique que marginalement, (une baisse annuelle comprise entre 0,04 et 0,09 points pour limiter le réchauffement à 2 °C). Et ce sans prendre en compte les coûts liés au changement climatique qu’elles permettraient d’éviter. : dégâts des catastrophes climatiques, coût sanitaire de la pollution de l’air et des maladies, coût de l’adaptation… L’analyse des auteur·rices est claire :
Les bénéfices globaux des trajectoires susceptibles de limiter le réchauffement à 2 °C surpassent les coûts de l’atténuation au cours du 21e siècle.
Un moyen de rendre le monde plus soutenable et plus vivable
Les bénéfices de l’action climatique dépassent le cadre de l’atténuation ou les gains économiques, elle est également essentielle pour atteindre les objectifs du développement durable et ainsi contribuer à la santé, au bien-être et à l’équité. Les mesures d’atténuation doivent aussi prendre en compte la perspective d’adaptation au changement climatique. Parmi les nombreux exemples mentionnés, dans les villes, la végétalisation (toitures et trottoirs végétalisées, parcs, agriculture urbaine) permet ainsi de stocker du carbone tout en désengorgeant les réseaux d’assainissement, réduisant les risques d’inondations et les effets de l’îlot de chaleur urbain et améliorant la qualité de l’air. De même, pour la gestion des terres, éviter la déforestation et gérer durablement les sols, les forêts et les élevages permet d’atténuer le changement climatique, tout en participant à une production responsable, et à améliorer les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire.
Conclusion : le défi de l’atténuation est réalisable, mais nécessite des changements d’ampleur urgents
En conclusion, ce rapport porte le constat alarmant de la hausse soutenue des émissions de gaz à effet de serre, qui réduit considérablement la fenêtre d’action pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, et ainsi éviter les effets dramatiques et irréversibles analysés dans le rapport précédent. Sans plafonner nos émissions de CO2 d’ici trois ans, celle-ci risque de se refermer définitivement. Mais il constitue surtout un appel à l’action, étayé de nombreuses mesures efficaces pour réduire drastiquement et rapidement nos émissions. Elles impliquent des changements d’ampleur de nos sociétés, couvrant l’ensemble des secteurs émetteurs en gaz à effet de serre, prenant en compte la dimension sociale pour assurer les équités et leur acceptabilité. La sobriété, à travers des changements de comportements soutenus par des politiques et des technologies, apparait comme une formidable opportunité de réussir ce défi majeur. Sans elle, l’atteinte des objectifs climatiques repose sur des solutions encore incertaines. Dans tous les secteurs, des solutions existent et d’autres sont en train de se développer, reste à les mettre en œuvre massivement et au plus vite. Le respect de l’Accord de Paris nécessite des investissements importants et des actions politiques majeures, mais les études montrent que nous avons tout intérêt à nous lancer dans ces transformations, y compris pour des raisons sociales et économiques. Des actions immédiates peuvent nous mener vers un futur plus juste et plus vivable. En clair, nous savons que nous devons agir. Nous savons comment agir. Nous avons les moyens d’agir. Il est temps de le faire, et sans demi-mesure.