Comment encourager la marche à Paris ? Entretien avec David Belliard
Zones piétonnes, limitation de la vitesse des véhicules, aménagements de la voirie, Code de la rue… La Ville de Paris favorise la marche à pied, notamment face à la voiture. David Belliard, Adjoint à la Maire de Paris en charge de la transformation de l’espace public, des transports, des mobilités, du Code de la rue et de la voirie, répond à nos questions sur la politique parisienne concernant les piéton·nes.
Lorsqu’on parle de mobilité à Paris, on pense souvent à la voiture, aux transports en commun ou au vélo. Pourtant, la marche y revêt une grande importance.
En effet, la marche à pied est le premier mode de mobilité à Paris : elle représente environ 50 % des déplacements. Cela n’est pas étonnant pour une ville relativement petite en superficie (10 km sur 10 km), extrêmement dense et qui, par son patrimoine et son urbanisme, s’adapte bien à la marche. Plutôt que de se contenter de sa place actuelle, nous souhaitons en faire l’élément central de politique de transformation de l’espace public que nous menons, avec pour objectif d’augmenter la part modale de la marche.
Pourquoi favoriser la marche ? Quels sont les bénéfices d’une ville pensée pour les piéton·nes ?
Ses bénéfices sont multiples, d’abord sur le plan sanitaire : l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande de faire 10 000 pas par jour pour rester en bonne santé. Elle est également intéressante sur un plan environnemental puisqu’il s’agit du seul mode de transport qui est pratiquement* zéro carbone. C’est d’ailleurs l’un des atouts des villes denses, plus propices à la marche, pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Et plus globalement, penser la ville pour les piéton·nes s’inscrit dans une perspective de « slow city » (« ville lente »), où l’on apaise la ville, notamment pour les piéton·nes qui sont les plus fragiles. De plus, marcher est le mode de transport le plus économique, elle permet à chacun·e de se déplacer sans débourser le moindre centime, ce qui est un avantage certain. Et à Paris, marcher permet aussi de profiter d’un patrimoine architectural qui nous est envié par le monde entier. Par ailleurs, plusieurs études prouvent que la marche favorise l’activité économique, notamment celle des petits commerces de proximité. Enfin, c’est le premier mode de déplacement utilisé par les femmes : en investissant pour des trottoirs et des places plus agréables, plus larges et plus sûrs, on améliore significativement la qualité de leurs déplacements.
Depuis quand la Ville de Paris est-elle engagée pour favoriser la marche ?
La Ville de Paris a adopté son premier Plan Piéton en 2017. Il s’agit donc d’une initiative assez récente, mais la marche à pied est depuis devenue un objet politique à part entière après des décennies de tout-voiture. Un nouveau Plan est d’ailleurs en préparation. Il manque encore un plan au niveau national, notamment pour lutter contre l’habitude de prendre sa voiture au quotidien pour les trajets d’ultra-proximité.
Quels sont les obstacles que vous avez identifiés pour la pratique de la marche ?
Le premier obstacle est la circulation motorisée avec les voitures, à laquelle on peut ajouter les deux-roues et les poids-lourds. Plus il y a de véhicules motorisés dans l’espace public, plus on le rend dangereux et anxiogène pour les piéton·nes. La voiture occupe une place considérable, à Paris environ 50 % de l’espace public lui est consacré, pour seulement 10 à 13 % des déplacements. Pour adapter Paris aux dérèglements climatiques il nous est nécessaire de reconquérir cet espace et de le transformer. Mais l’espace dédié à la voiture était encore plus important il y a quelques décennies. Certaines vidéos de l’INA montrent bien à quel point l’espace dédié aux piéton·nes était réduit à portion congrue.
Un autre obstacle important à Paris, ce sont les nombreuses « discontinuités marchables », elles sont la résultante de l’organisation de la ville pensée pour la voiture et non pour d’autres modes de mobilité comme la marche ou le vélo notamment. On peut citer comme exemple l’angle Magenta-Sébastopol, en face de la gare de l’Est, qui est un espace très hostile aux piéton·nes, sur lequel nous travaillons avec la Maire du 10e arrondissement.
Les infractions et incivilités menacent aussi la sécurité des piéton·nes. Nous avons créé cette année un Code de la rue dont la première des règles est de donner une priorité absolue aux piéton·nes, et d’adopter une tolérance zéro face aux infractions sur le trottoir et les passages piétons.
Enfin, les rues doivent être accessibles pour tous et toutes, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui, en particulier pour les personnes âgées, les poussettes ou les personnes en situation de handicap. Il faut alors créer des aménagements adaptés, en travaillant par exemple sur la mise en place de feux sonores, des passages piétons surélevés à hauteur de trottoirs, etc.
Comment faire face à cet héritage d’une ville pensée pour la voiture pour favoriser la marche à pied ?
Il existe des solutions pour réduire la place de la voiture et inciter à d’autres modes de déplacement, notamment la marche. Nous les mettons en œuvre depuis le début de la mandature en limitant l’espace de voirie, en supprimant des places de stationnement pour agrandir les trottoirs, ou en limitant la vitesse à 30 km/h. Plus nous avancerons dans cette direction, plus la sécurité des piéton·nes sera renforcée et donc la marche favorisée.
Nous sommes en train de reconquérir une partie de l’espace public dédiée à la voiture pour les piéton·nes. Que ce soit dans les démarches Embellir votre quartier, les Rues aux enfants, ou lors de la création de pistes cyclables, nous augmentons via nos aménagements la place donnée aux piéton·nes, notamment en élargissant les trottoirs ou en piétonisant des rues.
Le mouvement est déjà bien engagé, avec près de 200 rues aux écoles créées, de nombreuses zones de stationnements végétalisées et plusieurs places transformées ou en cours de transformation comme la place du Châtelet, la place Felix Eboué ou la place de Catalogne.
« Rue aux écoles » Ecole Pierre Foncin, 20e © Joséphine Brueder/Ville de Paris
Comment rendre Paris praticable à pieds pendant les canicules, alors que celles-ci s’aggraveront sous l’effet du changement climatique ?
Pour garder notre ville habitable et vivable, il faut la rafraîchir et les meilleurs climatiseurs sont les arbres. Nous végétalisons donc massivement les rues, de façon à créer de l’ombre sur les trottoirs et les pistes cyclables et à réduire les sols en bitume, matière qui stocke particulièrement la chaleur. Nous travaillons aussi sur un aménagement résilient et adapté aux fortes chaleurs, en installant notamment davantage de bancs et de fontaines à eau afin de créer des espaces permettant de faire une pause et de s’hydrater de manière régulière.
*L’usure des chaussures est comptabilisée, de la même façon que l’usure des pneus pour la pratique du vélo.