COP16 biodiversité : quel bilan pour la conférence de Cali ?
Parmi l’une des régions du monde où la biodiversité est la plus riche, la Colombie a été choisie pour accueillir la seizième COP pour la biodiversité. Du 21 octobre au 1ᵉʳ novembre 2024, des négociateurs et négociatrices de 196 pays se sont réunis à Cali pour préciser la mise en œuvre de l’accord historique de Kunming-Montréal.
Entre avancées notables et points de dissensions persistants, la COP16 a soufflé un air de printemps sur les enjeux d’équité sans faire éclore d’accords cruciaux sur les modalités de suivi et de financement du cadre mondial pour la biodiversité. Retour sur les principaux enseignements de la COP16.
Des COP pour la biodiversité ?
L’organisation des COP pour la biodiversité découle d’une des trois conventions signées au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 : la Convention sur la diversité biologique (CDB).
Cette dernière vise trois grands objectifs :
- La conservation de la biodiversité ;
- L’utilisation durable de ses composants ;
- Le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles qui y sont associées.
Tous les deux ans depuis 1994, les 196 parties de la CDB se réunissent lors de Conférences des Parties (COP, « Conference of the Parties » en anglais) pour examiner les progrès accomplis, établir des priorités et décider de plans de travail en matière de biodiversité.
Moins connue que les COP pour le climat, les COP pour la biodiversité sont pourtant toutes aussi essentielles pour la sauvegarde de l’habitabilité de la Terre. Dans son rapport de 2019 sur la biodiversité et les services écosystémiques, l’IPBES estime que 75 % des milieux terrestres et 66 % des milieux marins sont « sévèrement altérés » par les activités humaines. WWF (2022) souligne que les populations de vertébrés sauvages ont chuté de 69 % entre 1970 et 2018. Face à ces chiffres alarmants, l’acteur américain James Cromwell rappelait déjà à la COP15 que :
La sixième extinction est provoquée par l’homme, pas par une météorite .
Mettre en œuvre l’accord-cadre de Kunming-Montréal (COP15)
La COP16 pour la biodiversité s’inscrit dans la suite de la COP historique de Kunming-Montréal qui a permis d’adopter un plan stratégique pour guider l’action internationale pour le vivant jusqu’en 2030.
« Un accord de Paris pour la nature »
Souvent décrit comme tel, le « Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal » (GBF, Global Biodiversity Framework en anglais) a renouvelé et rehaussé les ambitions pour la biodiversité. Il fixe trois grands objectifs :
- Atteindre 30 % d’aires (marines, côtières, terrestres et d’eaux douces) protégées au niveau mondial à horizon 2030 ;
- Réduire la perte des zones de forte importance pour la biodiversité à « proche de zéro » d’ici à 2030 ;
- Restaurer « au moins 30 % » des aires dégradées d’ici à 2030.
L’accord de Kunming-Montréal a fait également un grand pas en doublant les objectifs de budget dédié à la biodiversité d’ici 2030. Le montant à mobiliser est fixé à 200 milliards de dollars dont au moins 25 milliards de dollars par an en 2025 et 30 milliards de dollars par an en 2030 à destination des pays du Sud. Ces financements, qu’ils soient publics ou privés, seront gérés au sein du Fonds pour l’environnement mondial (FEM).
Un suivi pour encourager l’action
Par ailleurs, pour éviter l’échec des accords d’Aichi– une série d’objectifs non-atteints adoptés en 2010 au Japon -, la COP15 a impulsé l’idée d’instaurer un cadre de suivi qui doit permettre aux différentes parties d’évaluer régulièrement leurs progrès et de réviser leurs stratégies sans attendre la fin de la décennie.
Cali, une COP attendue et porteuse d’espoir
La COP16 pour la biodiversité de Cali était ainsi attendue :
- pour développer des outils évaluatifs afin d’éviter les lacunes de mise en œuvre ;
- mais aussi pour revenir sur LE sujet majeur de dissension entre pays en développement et pays développés : les financements.
Les espoirs étaient élevés quant à cette COP, d’autant plus que la présidente, Susana Muhamad, militante écologiste et ministre de l’Environnement colombienne, était décrite comme l’« étoile montante de la cause environnementale » (Le Monde).
COP16 : un pas vers l’équité
Les voix des peuples autochtones mieux prises en compte
Une des premières avancées notables de la COP16 de Cali est la création d’un organe dédié aux peuples autochtones et communautés locales. Celui-ci aura pour objectif de soutenir et évaluer la mise en œuvre des décisions liées aux peuples autochtones ainsi que de conseiller sur la préservation et la valorisation des savoirs traditionnels pour la conservation de la biodiversité.
Une décision, poussée par le Brésil et la Colombie, a également été prise pour reconnaitre le rôle des Afro-descendants dans la conservation de la biodiversité. Population marginalisée et victime de la traite transatlantique, les Afro-descendants incarnent pour la plupart des modes de vies traditionnels, favorables à la conservation de la biodiversité. Ainsi, cette décision cherche à encourager les pays à les intégrer davantage dans les discussions de la CDB.
Création du « Fonds Cali »
Selon l’IDDRI, la création du « Fonds Cali » est un succès prometteur pour la suite. Il vise à rendre plus équitable les bénéfices issus de l’exploitation des données génétiques numériques (Digital Sequence Information ou DSI), soit les informations numériques sur les séquences génétiques des plantes et des animaux. Alors que celles-ci proviennent souvent des pays du Sud, riches en biodiversité, elles sont aujourd’hui majoritairement exploitées par des entreprises du Nord.
Un mécanisme financier pour mieux répartir les bénéfices des DSI
Par cet accord, les industries pharmaceutiques, cosmétiques, agroalimentaires, nutraceutiques et technologiques qui tirent profit de ces données génétiques « devraient » (« should ») verser 1 % de leurs profits, ou 0,1 % de leur chiffre d’affaires, au « Fonds de Cali ». 50 % des ressources de ce dernier seront réservés pour des paiements directs aux peuples autochtones et communautés locales.
La création d’un tel mécanisme financier était portée depuis longtemps par des pays du Sud pour assurer que les bénéfices liés au DSI soient plus justement partagés avec les populations des territoires où les ressources ont été trouvées.
Une mise en œuvre à approfondir
Du fait du caractère volontaire de la contribution, plusieurs interrogations émergent : comment garantir la participation effective des entreprises ? Comment identifier les entreprises qui utilisent les DSI ? Comment assurer que ce fonds devienne rapidement opérationnel ? Des questions léguées aux prochaines COP…
Une nouvelle alliance : le « G9 de l’Amazonie »
Une nouvelle alliance a été formée rassemblant les neufs pays qui partagent l’Amazonie, soit le Brésil, la Colombie, le Pérou, la Bolivie, l’Équateur, le Venezuela, le Guyana, la Guyane française et le Suriname. Un « G9 de l’Amazonie » pour coordonner les actions de défense de l’Amazonie, des peuples autochtones, de la biodiversité et du climat mondial par une « voix unifiée pour influencer les décisions mondiales ».
Les financements : frictions persistantes entre Nord et Sud
Un objectif encore insuffisant
La promesse des 200 milliards du fonds par an formulée lors de la conférence de Montréal n’a pas satisfait tout le monde. L’IDDRI et WWF ont salué cet effort tout en soulignant que ce montant est en déséquilibre avec les besoins réels pour mettre en œuvre le cadre, estimés entre 500 et 700 milliards de dollars, d’où la volonté d’aller plus loin.
Un nouveau fonds pour la nature éconduit
À Cali, dès le début des discussions, il a été question de créer un nouveau fonds plus « généraliste » pour la biodiversité et les pays en développement. Cette demande, portée par le Zimbabwe – au nom de l’Afrique – et le Brésil, est née d’une double problématique :
- un décalage entre les besoins des pays récipiendaires et la capacité des fonds multilatéraux à y répondre ;
- des difficultés de certains pays du Sud à accéder aux mécanismes de financement multilatéraux.
Les membres contributeurs, comme l’Australie, le Japon ou encore l’Union européenne, se sont opposés à la création de ce nouveau fonds pour ne pas multiplier les mécanismes de financement.
Un débat pour la prochaine COP
Les négociations sur la manière d’atteindre les 200 milliards de dollars de financement se sont achevées abruptement à 3h30 du matin le 2 novembre. Après 10 heures de débat, la présidente colombienne de la COP Susana Muhamad a attesté, par la remarque du Panama, que le quorum des parties n’était plus réuni.
Sans convaincre les pays en développement, sept pays, dont la Nouvelle-Zélande, la France et l’Autriche, ainsi que le Québec – premier gouvernement infranational à le faire – se sont engagés à verser 163 millions de dollars, ce qui porte le fonds à 396 millions de dollars. Un petit pas vers les 200 milliards…
Une stratégie d’évaluation toujours en cours de définition
Une des décisions phares de la COP15 a été d’instaurer un suivi pour éviter la non-atteinte des objectifs comme cela avait été le cas avec l’accord d’Aichi (COP10). Pour cela, chaque pays devait rendre leurs stratégies et plans d’action nationaux (SPNAB) pour la biodiversité à l’aube de la COP16.
Un engagement différencié
À la fin de la COP16, 44 des 196 parties avaient déposé leurs SPNAB. 119 parties qui n’étaient pas en position de les donner ont décidé de définir des grands objectifs nationaux sans plan. Certaines nations et économies majeures ont déclaré qu’elles ne disposaient pas du temps nécessaire pour mettre en place des plans, tandis que les pays en développement ont indiqué qu’ils ne recevaient pas le financement requis pour produire de nouveaux engagements.
Les pays qui n’ont pas remis de SPNAB ont été encouragés à le faire au plus vite en vue du début de l’évaluation de la réalisation de chaque plan national prévue en 2026.
Entre ambition écologique et intérêts particuliers
Un autre point a agité les discussions : la définition des critères d’évaluation. Des indicateurs ont particulièrement fait débat, notamment sur le contrôle des pesticides. Les parties étaient par exemple divisées sur la question de savoir si les pays devaient déclarer la « concentration de pesticides dans l’environnement » ou la « toxicité totale appliquée agrégée ». Face aux intérêts particuliers, des difficultés à faire pencher la balance du côté des ambitions écologiques se sont fait sentir.
Les critères d’évaluation restent donc à affiner sans les vider de leurs ambitions.
Quelles suites ?
Si les efforts « vaillants »1 de la Colombie et des négociateurs ont été relevés, l’Arménie, pays hôte de la COP 17, hérite d’une importante responsabilité. La question des financements, de la mise en œuvre du fonds Cali mais également de la définition du suivi seront des points décisifs dans l’atteinte des ambitions du Cadre mondial de la convention pour la biodiversité. Affaire à suivre…
Sources
- COP16 biodiversité : les peuples autochtones obtiennent un statut renforcé
- COP16: Key outcomes agreed at the UN biodiversity conference in Cali, Colombia – Carbon Brief
- COP 16 : un jalon important pour l’équité malgré des désaccords majeurs | IDDRI
- COP15 biodiversité : un accord historique, mais imprécis et non-contraignant
- [1] Kirsten Schuijt, Carbonbrief