COP29 : Bilan et enjeux clés de la Conférence de Bakou (2024)
Sur fond de tensions internationales et de désaccords entre pays du Nord et du Sud, la COP29 s’est conclue par un accord a minima sur le financement climat, vivement contesté. On retiendra également un accord important sur le marché des crédits-carbone, alors que les questions d’adaptation et d’atténuation font du surplace.
Après Dubaï, la COP climat faisait escale à Bakou, du 11 au 23 novembre 2024. À un an du dixième anniversaire de l’accord de Paris, les négociations dans la capitale azerbaïdjanaise devaient aboutir à des avancées concrètes pour maintenir et renforcer la dynamique des derniers sommets. Citons trois sujets particulièrement pressants :
- L’adoption d’un nouvel objectif de financement climatique, pour laquelle la COP29 marquait la date butoir, LE sujet majeur de la conférence ;
- Le sort des combustibles fossiles, un an après l’accord surprise sur une « transition vers [leur] abandon » ;
- Les engagements de réduction d’émissions des États, qui demeurent encore insuffisants pour atteindre l’objectif de l’accord de Paris.
Ni le contexte international ni la présidence de la COP n’ont facilité les discussions, qui ont tout de même permis d’arracher un accord sur le financement et de conclure enfin les règles du nouveau marché de crédits-carbone. Deux accords critiqués qui masquent difficilement le manque d’avancée sur les autres sujets.
Des vents contraires ont soufflé sur Bakou
Trilogie pétrogazière
Pour la troisième année d’affilée, l’organisation de la COP climat est revenue à un producteur d’hydrocarbures. L’État Azerbaïdjanais en tire en effet les deux tiers de ses revenus. Comme l’an dernier, des craintes ont rapidement émergé sur les motivations du président de la Conférence. D’autant plus qu’Elnur Soltanov, par ailleurs vice-ministre de l’Énergie et membre du conseil d’administration de la compagnie nationale pétrolière et de gaz (SOCAR), a, d’après la BBC, été filmé en train de profiter de l’organisation du sommet pour négocier des accords commerciaux gaziers.
« COP de la trêve », mais surtout des tensions
Cette COP s’est également tenue dans un contexte particulièrement difficile. Symbole des tensions géopolitiques, elle a été présentée comme la « COP de la trêve » par l’Azerbaïdjan, à qui l’organisation est revenue après que la Russie a mis son véto sur toute candidature est-européenne et à la suite d’un échange de prisonnier avec l’autre candidat, l’Arménie. Pays contre lequel l’Azerbaïdjan a mené une nouvelle offensive l’année dernière, accompagnée d’accusations de « nettoyage ethnique », telles que formulées par le Parlement européen. En raison des tensions entre les deux pays, la ministre Agnès Pannier Runacher a décidé de ne pas se rendre à l’évènement.
Des signaux politiques et économiques inquiétants
Le ralentissement de l’économie mondiale et la montée des taux d’intérêts n’étaient pas de bon augure pour les négociations sur le financement de l’action climatique. Et que dire de la menace fantôme exercée par le retour à la tête du premier pollueur mondial de celui qui avait déjà fait sortir les États-Unis de l’accord de Paris lors de son premier mandat ? Le point d’orgue d’une très bonne année pour les partis qui s’opposent à l’action climatique, notamment en Europe.
Le climat dans tous ses états
Peut-être pouvait-on espérer que l’année écoulée, la plus chaude jamais enregistrée, la première qui dépassera probablement la barre symbolique de 1,5 °C de plus que les niveaux préindustriels, aurait permis de rappeler l’urgence de la situation. Ne serait-ce que pendant le mois précédent, des inondations meurtrières ont ravagé des régions d’Afrique centrale et occidentale, puis le sud-est de l’Espagne.
Un départ en trombe avec l’accord sur le marché mondial des crédits-carbone
Un accord dès le premier jour
À Dubaï, la première journée avait abouti à la création historique d’un fonds sur les pertes et dommages. Sans doute pour répéter ces débuts victorieux, la présidence a fait adopter dès le jour 1 les règles régissant les marchés internationaux du carbone (même si les dernières seront finalisées dans les ultimes heures). La fin de près d’une décennie de négociations sur l’article 6 de l’accord de Paris.
L’ascension critiquée des crédits-carbone
Instruments clés de l’atténuation, les crédits-carbone sont des certificats générés par des projets de réduction ou d’élimination de CO2. Ils peuvent être vendus à des tiers pour leur permettre de retrancher comptablement une partie de leurs émissions. Le principe : puisqu’une tonne de CO2 réchauffe autant le climat quelle que soit son origine, en enlever chez soi ou chez le voisin revient au même.
Ils sont apparus avec le Protocole de Kyoto, où les pays développés pouvaient soustraire une partie de leurs émissions en finançant des projets dans les pays du Sud. Sur le même modèle, un marché de compensation volontaire à destination des entreprises a émergé, où ces dernières peuvent acheter des crédits émis par des labels pour afficher des ambitions de « neutralité carbone ».
Dans la pratique, les marchés de crédits-carbone sont tombés dans de nombreux écueils : double comptabilité, crédits fantômes, atteintes aux droits humains, approche néocolonialiste… Et il n’y avait plus de mécanisme dédié aux États depuis 2013.
Le réveil d’un marché mondial supervisé par l’ONU
Ainsi émerge la volonté de créer un nouveau marché mondial supervisé par l’ONU, ouvert aux États et aux entreprises. Annoncé dès l’Accord de Paris, les négociations sur ses règles patinaient depuis, en particulier sur les aspects méthodologiques.
Dans sa version présentée à Bakou, ce nouveau marché doit garantir plus de transparence et les « anomalies persistantes » seront traquées par des experts de l’ONU.
Il imposera aux porteurs de projet d’identifier et traiter les éventuels impacts sociaux et environnementaux négatifs, et d’expliquer comment les activités contribuent aux objectifs de développement durable.
Fraîche réception
Cette annonce n’a pas généré l’enthousiasme escompté. Si certains, comme le délégué de l’Union européenne, veulent y voir un vrai « pas en avant », d’autres ont critiqué à la fois la forme – un accord imposé d’entrée sans discussion ni débat – et le fond, pointant les nombreuses questions sans réponse et le manque de garanties pour ne pas répéter les erreurs du passé.
L’accord risque de faciliter les marchés du carbone « cowboy » à l’heure où le monde a besoin d’un sheriff.
Carbon Market Watch
Un accord à l’arraché et, a minima, sur le financement
Le financement climat, un épineux problème
L’accord de Paris signé en 2015 appelait les États à fixer un « nouvel objectif collectif déterminé sur le financement climatique » (NCQG) d’ici 2025. Il devait remplacer l’engagement précédent des pays développés à fournir 100 milliards par an, nettement insuffisant face aux besoins et rempli avec du retard. Le principe : aider les pays qui n’en ont pas les moyens à accomplir leur transition bas-carbone et à se protéger des effets du changement climatique.
Encore fallait-il résoudre trois questions épineuses :
- Qui doit contribuer ?
- Quel montant global ?
- Et en quoi il consiste (aides publiques, prêts et/ou financements privés) ?
Comme souvent, elles ont cristallisé les tensions entre pays développés et pays en développement.
Trillions, Not Billions
Ces derniers se sont mis d’accord sur un objectif de 1 300 milliards de dollars, principalement sous la forme d’aides étatiques. Ils ont été soutenus par le slogan « Trillions, Not Billions! » (« des milliers de milliards, pas des milliards ») des activistes, le tube de ces deux semaines.
Côté pays développés, avant de discuter d’un montant, la demande principale était d’élargir le club des financeurs. Composé de 23 pays (et l’Union européenne) selon une liste établie en 1992, celui-ci n’inclut pas des pays comme la Chine ou les pays du Golfe. Ils militaient également pour une plus grande part de prêts et d’investissement privé.
L’accouchement douloureux d’un texte peu ambitieux
Tout au long des deux semaines, la frustration et l’inquiétude des pays en développement ont grandi, entre les faibles avancées des négociations et la stratégie des pays développés d’attendre le dernier moment pour évoquer le montant global. Une proposition d’accord a finalement émergé pendant les deux derniers jours dans l’espoir de trouver un consensus autour d’un texte flou.
Il « fixe » comme objectif d’atteindre un financement « d’au moins 300 milliards par an d’ici 2035 » de l’action, mené par les pays développés à destination des pays en développement et « provenant d’une variété de sources, publiques et privées ». Et « encourage » les pays en développement à y participer, sur une base volontaire.
Dans le même temps, il « appelle tous les acteurs à travailler ensemble » – une formulation aussi peu engageante que possible – pour que le financement de l’action climatique dans les pays en développement atteigne au moins 1 300 milliards de dollars par an. Pour les détails, il faudra suivre les prochaines éditions.
Un accord et un tollé
En soi, l’adoption d’un accord peut sonner comme une petite victoire, tant les discussions étaient encore bloquées le samedi, un jour après la date de clôture prévue. Finalement, au bout de la nuit, le président de la COP frappe dans la hâte son marteau pour officialiser l’adoption de la dernière version du texte. Une image pas sans rappeler celle de Laurent Fabius lors de la COP21… jusqu’à l’attaque de plusieurs pays du Sud qui ont immédiatement pris la parole pour dénoncer l’accord.
C’est une mise en scène, et nous sommes extrêmement déçus. Ce document n’est rien d’autre qu’une illusion d’optique.
Chandni Raina, déléguée de l’Inde
Les pays développés veulent que nous respections le seuil de + 1,5 °C de réchauffement, mais s’opposent à ce que les pays en développement aient les moyens de baisser leurs émissions.
Diego Pacheco, délégué de la Bolivie
Nul doute que la question du financement reviendra sur la table lors des prochaines COP.
Aucun pays n’a obtenu tout ce qu’il voulait, et nous quittons Bakou avec une montagne de travail à accomplir.
Simon Stiell, Secrétaire exécutif d’ONU Climat
La poursuite de l’héritage de Dubaï soldée par un échec
Les hydrocarbures contre-attaquent
Le Bilan Mondial issu de la COP28 avait fait émerger un nouvel espoir pour la résistance contre les combustibles fossiles. Réaffirmer les avancées, à commencer par l’accord sur la transition vers l’abandon des hydrocarbures, était un objectif central pour certains pays développés et les plus vulnérables.
Cette fois, le ton a été donné d’entrée. Le gaz et le pétrole ont été présentés comme un « cadeau de dieu » par le président de l’Azerbaïdjan Ilham Aliev dans son discours d’introduction.
Toute ressource naturelle, pétrole, gaz, vent, solaire, or, argent, cuivre… Ce sont des ressources naturelles et on ne doit pas reprocher aux pays d’en avoir et de les fournir aux marchés, car les marchés en ont besoin.
Lors de cette COP, les pays producteurs ont semblé prendre leur revanche, menés par une Arabie Saoudite très active, empêchant toute mention de la sortie des combustibles fossiles dans l’accord final.
Le groupe arabe n’acceptera aucun texte qui cible des secteurs spécifiques, y compris les combustibles fossiles.
Albara Tawfiq, responsable saoudien, délégué saoudien
Le « dialogue des Émirats arabes unis » qui devait poursuivre les acquis du Bilan Mondial, n’a même pas été adopté. Jugée bien trop peu ambitieuse, la dernière version proposée sonnait même comme un pied de nez à celle de Dubaï, puisqu’il était mentionné que « les combustibles de transition peuvent jouer un rôle pour faciliter la transition énergétique tout en assurant la sécurité énergétique ».
Il faudra s’attendre au retour du dialogue l’an prochain, certains États préférant tenter d’obtenir un accord plus ambitieux au Brésil plutôt que d’adopter dès maintenant un texte faible.
La question des « Contributions déterminées au niveau national » (CDN) à la trappe
Au-delà de la question des énergies fossiles, plusieurs participants souhaitaient profiter de la COP pour envoyer un message clair aux États pour revoir leur « Contributions déterminées au niveau national » (CDN), en alignant les objectifs de réduction d’émissions avec la trajectoire 1,5 °C et en proposant une mise en œuvre plus rigoureuse. Sans succès. Il a fallu se contenter des annonces ambitieuses d’une poignée d’État, en particulier le Brésil et le Royaume-Uni.
Sur l’atténuation, aucun texte n’est adopté, ce qui envoie un message très négatif et marque un vrai échec pour cette COP29.
Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique
Pour l’adaptation et les pertes et dommages, il faudra repasser
Les autres sujets ont fait les frais de la densité de l’agenda et l’âpreté des négociations. Aucune avancée notable n’est à signaler sur les pertes et dommages – sujet star à Dubaï –, l’adaptation ou la transition juste.
Rendez-vous à Belém
En bref, si l’on peut estimer que cette COP a préservé l’essentiel avec un accord in extrémis sur le financement climat, qui aura au moins le mérite d’exister dans un contexte très défavorable, elle a échoué à capitaliser sur les avancées de la précédente édition, remettant à plus tard de nombreux sujets clés.
Déjà cruciale, présentée comme la « COP des COP » par sa présidente Marina Silva, la COP30 brésilienne et les mois qui la précèderont ont pris encore plus d’importance. Si un vent de pessimisme souffle sur le multilatéralisme étatique, l’ambition du prochain hôte est une lueur d’espoir. Même si son discours sur le pétrole est plus ambigu, le président Lula s’est positionné depuis son retour aux affaires comme un des principaux défenseurs de l’environnement sur la scène internationale et mène une lutte active contre la déforestation.
À Belém, aux portes du poumon de la planète, celle-ci retiendra son souffle.