Rapport du GIEC, premier volet : l’évolution du climat
En août, le premier groupe de travail du GIEC a publié son 6ᵉ rapport d’évaluation, 8 ans après le précédent. L’état des lieux le plus complet à ce jour des connaissances scientifiques sur l’évolution du climat, et un nouvel avertissement à quelques semaines de la COP26 à Glasgow, en Écosse.
Près de 4 000 pages, basées sur plus de 14 000 citations d’études scientifiques, fruit d’un travail de trois ans de 234 auteur·rices volontaires venant de 66 pays, qui ont répondu aux près de 80 000 commentaires d’expert·es et représentant·es de gouvernement. Le Groupe d’expert·es intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a dévoilé en août dernier l’état des lieux le plus complet à ce jour des connaissances scientifiques sur l’évolution du climat.
Un rapport très attendu
Il s’agit du sixième rapport d’évaluation du groupe de travail 1, qui s’intéresse aux aspects scientifiques du changement climatique, huit ans après le précédent. Il s’inscrit dans un cycle débuté en 2015, au cours duquel trois rapports spéciaux ont déjà été réalisés – consacrés au réchauffement de 1,5 °C, aux liens entre le changement climatique et les sols, et aux océans et à la cryosphère (glaciers, neige…) – ainsi qu’une mise à jour de la méthodologie d’estimation des émissions de gaz à effet de serre. Suivront en 2022 les rapports d’évaluation des deux autres groupes de travail, qui étudieront les conséquences, la vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique, ainsi que l’atténuation. Le cycle se refermera avec un rapport de synthèse à l’automne 2022.
Enrichi de près d’une décennie de travaux scientifiques et de progrès méthodologiques par rapport à son prédécesseur, il établit un diagnostic plus précis et plus fiable, mais aussi plus inquiétant, de l’évolution passée du climat, et de meilleures estimations du climat futur. Il innove avec une approche par région, complétée par un Atlas Interactif.
Les représentantes et représentants des 195 pays membres ont approuvé ligne par ligne la quarantaine de pages du résumé pour décideurs, sur lequel se base l’essentiel de l’analyse qui suit.
Le réchauffement climatique est déjà bien réel
Un réchauffement d’origine humaine : un fait « sans équivoque »
Le rapport donne le ton dès la première affirmation :
Il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé la planète, les océans et les terres. L’atmosphère, l’océan, la cryosphère et la biosphère ont été soumis à des changements rapides et de grande ampleur.
Il va ainsi plus loin que son prédécesseur, qui parlait « d’extrême probabilité ». Une manière pour les autrices et auteurs d’établir cet état de fait, ne souffrant d’aucune ambiguïté. L’aboutissement d’une formulation toujours plus affirmative sur l’influence humaine sur le climat global depuis le premier rapport en 1990. Aujourd’hui, on ne peut pas en être plus certains.
Le réchauffement observé est net : chacune des 4 dernières décennies a été plus chaude que la précédente. La dernière était plus chaude de 1,09 °C que la période de référence (1850-1900). Du jamais vu depuis probablement 125 000 ans.
Il est plus alarmant quand dans le dernier rapport, selon lequel la décennie 2003-2012 était « seulement » plus chaude de 0,78 °C que la référence. Une différence qui s’explique par les nouvelles émissions de gaz à effet de serre, mais aussi par des progrès méthodologiques. La situation, déjà pire que ce que l’on pensait, s’est donc aggravée. Pour retrouver une période où des concentrations de CO2 étaient plus élevées qu’en 2019 (410 ppm), il faut remonter au moins 2 millions d’années en arrière. Elles ont bien plus augmenté en deux siècles que lors des transitions glaciaires-interglaciaires des 800 000 dernières années. Les concentrations de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O) augmentent elles-aussi dangereusement, atteignant des niveaux jamais vu depuis au moins 800 000 ans.
Des effets déjà perceptibles
Les effets de ce réchauffement se font déjà sentir, à commencer par des canicules plus fréquentes et plus intenses. D’après les scientifiques, certains récents évènements auraient été extrêmement improbables sans l’influence humaine sur le système climatique. Elle a aussi probablement conduit à une augmentation des pluies intenses, des sécheresses et des cyclones tropicaux, au moins dans certaines régions.
Le réchauffement des océans, plus rapide que lors de la dernière transition déglaciaire, le recul des glaciers et de l’inlandsis du Groënland ont contribué à une élévation de niveau de la mer inédite depuis au moins 3 000 ans (autour de 20 cm depuis 1901), et de plus en plus rapide.
On appelle « inlandsis » un glacier continental d’eau douce d’une très grande étendue, de plus de 50 000 km2, soit plus grand encore qu’une calotte glaciaire. On en trouve deux actuellement : au Groënland et en Antarctique. A ne pas confondre avec la banquise, qui se forme au-dessus de la mer et dont la fonte ne fait pas s’élever le niveau de la mer.
Une meilleure connaissance des processus climatiques
La sensibilité climatique à l’équilibre : une avancée historique
Un des signes majeurs de la meilleure compréhension du fonctionnement du climat depuis le dernier rapport est l’estimation bien plus précise de la « sensibilité climatique à l’équilibre ». Pour faire simple : de combien de degrés se réchaufferait la planète si on doublait la quantité de CO2 dans l’atmosphère. Il s’agit d’un passage obligé pour tous les grands rapports climatiques depuis le rapport Charney en 1979.
La sensibilité climatique à l’équilibre correspond au réchauffement global à long terme obtenu si on doublait la concentration de CO2 dans l’atmosphère par rapport à l’ère préindustrielle. Elle est généralement calculée sous la forme d’une fourchette probable et d’une estimation centrale. Elle a été calculée pour la première fois par Svante Arrhenius en 1896.
Comme le montre le graphique de Carbon Brief ci-dessous, la fourchette probable en degrés a été nettement réduite dans le dernier rapport. Le réchauffement produit par le doublement des concentrations CO2 (par rapport à l’ère pré-industrielle) aurait 66 % de chances d’être compris entre 2,5 °C et 4 °C, et 90 % de chances de l’être entre 2 °C et 5 °C, ce qui écarte donc les valeurs très faibles. Ce gain de précision confirme toutefois les tendances des précédents rapports, puisque la meilleure estimation, autour de 3 °C, est la même que dans le rapport Charney.
Le rôle des aérosols : une zone d’ombre éclaircie
Les scientifiques arrivent également à mieux cerner l’influence des aérosols, confirmant l’effet global rafraichissant que ces particules en suspension dans l’air ont eu. Elles ont ainsi pu contrebalancer une partie du réchauffement observé, entre 0 °C et 0,8 °C. A noter que si des mesures de contrôle de la pollution de l’air, incluses dans les scenarios testés dans le rapport, réduisent leur présence et donc leur effet rafraichissant, les scenarios qui limitent à la fois les émissions de gaz à effet de serre et ces polluants aboutissent à une température nettement moins élevée dans ceux qui ne les réduiraient pas. Et améliorent la qualité de l’air.
Les aérosols sont un ensemble de particules en suspension dans l’air, de courte durée de vie. Certains sont d’origine naturelle, comme les sels marins ou les poussières désertiques, d’autres sont émis par les activités humaines comme les sulfates, les suies ou les nitrates. Ils ont une double influence sur le climat : certains aérosols réfléchissent les rayons du Soleil (effet refroidissant), d’autres les absorbent (effet réchauffant). Ils modifient également la formation des nuages. En savoir plus.
Réchauffement futur : il est encore temps d’écrire le scenario
Cinq scenarios d’émissions
Le rapport s’est livré au traditionnel exercice des projections climatiques selon différents scenarios d’émissions, qui commencent en 2015. Cinq sont mentionnés dans le résumé pour décideurs :
- SSP1-1.9 : scénario très faiblement émetteur, qui atteint le net-zéro d’ici 2060 avant de réaliser des émissions négatives
- SSP1-2.6 : scénario faiblement émetteur, qui atteint le net-zéro d’ici 2080 avant de réaliser des émissions négatives
- SSP2-4.5 : scénario intermédiaire, avec des niveaux d’émissions équivalents à aujourd’hui vers 2050 puis divisés par deux avant la fin du siècle
- SSP3-7.0 : scénario fortement émetteur, avec une augmentation continue les émissions de CO2 qui sont doublées d’ici 2100
- SSP5-8.5 : scénario très fortement émetteur, où les émissions de CO2 sont doublées d’ici à 2050 avec un pic autour de 2090
Les SSP, pour « Shared Socio-economic Pathway s» (Trajectoires communes d’évolution socio-économique), décrivent des tendances possibles pour l’évolution des sociétés au cours du siècle, selon différents modes de développement et de relations entre les Etats. On en compte cinq, centrées sur un développement soutenable et la coopération entre les Etats (SSP1), un développement ordinaire (SSP2), des rivalités régionales qui entravent la prise en compte des questions environnementales (SSP3), un développement fortement inégalitaire (SSP4) et un développement fondé sur les énergies fossiles (SSP5). A partir de ces narratifs, des scenarios d’émissions de gaz à effet de serre ont été élaborés, dont le nom comprend la SSP associée (par exemple SSP1) et le forçage radiatif prévu en 2100 (par exemple 1.9).
Seuls les scenarios les moins émetteurs rendraient possible l’atteinte des objectifs des accords de Paris, qui sont de limiter le réchauffement de la planète à un niveau nettement inférieur à 2 °C en poursuivant les efforts pour le limiter à 1,5 °C. Cette barre serait probablement dépassée dans tous les scenarios avant le milieu du siècle. A l’inverse, la Terre pourrait se réchauffer de 3 °C, 4 °C voire 5 °C d’ici la fin de ce siècle si les émissions continuent d’augmenter.
Des « budgets carbone » bien entamés
Les scientifiques ont estimé la relation entre les émissions cumulées de CO2 d’origine humaine et le réchauffement produit, ce qui leur permet de calculer les « budgets carbone » dont l’humanité dispose, à compter de début 2020, pour limiter le réchauffement. Par exemple, pour avoir ne serait-ce qu’une chance sur deux de le limiter à 1,5 °C, il resterait 500 GtCO2 à émettre, soit moins de 12 ans d’émissions au rythme actuel. Pour avoir une bonne chance (83 %) de rester sous les 2 °C, le budget restant est de 900 GtCO2, soit environ 20 ans d’émissions aux niveaux actuels.
Un budget carbone correspond à la quantité de CO2 qu’il reste à émettre avant de dépasser un objectif de réchauffement. Chaque année, les nouvelles émissions nettes de CO2 sont retranchées à ce budget (plus de 40 GtCO2 en 2019).
Chaque tonne de CO2 s’ajoute au changement climatique.
Il faudra à la fois réduire drastiquement les émissions et capturer du CO2
Pour stabiliser le réchauffement, il est nécessaire d’atteindre la neutralité carbone à l’échelle globale, c’est-à-dire de ne pas émettre plus de CO2 que l’on en capture, voire des émissions nettes nulles de gaz à effet de serre.
Les émissions «nettes» de CO2 sont obtenues lorsque l’on retranche aux émissions d’origine humaine les quantités retirées de l’atmosphère grâce à des méthodes spécifiques, telles que la plantation de forêts ou le filtrage du CO2 dans l’air. On parle d’émissions nettes nulles (ou «net-zéro», voire «neutralité carbone») lorsqu’on émet autant de CO2 qu’on en capture, auquel cas les concentrations dans l’atmosphère restent stables. Les émissions nettes de gaz à effet de serre englobent elles l’effet réchauffant des autres GES, converti en équivalent CO2.
Les scenarios qui respectent les budgets carbone reposent en partie sur un retrait massif du CO2 de l’atmosphère, qui pourrait mener à des émissions nettes négatives, et ainsi inverser la hausse des températures de surface et l’acidification de la surface des océans. Certaines méthodes de retrait du CO2 pourraient néanmoins perturber les cycles biochimiques, les récoltes ou encore la biodiversité, et elles ne sont pas toutes matures.
Le temps presse : le net-zéro doit être atteint à l’horizon 2050 pour respecter les accords de Paris, ou en 2070 pour se garder en chance de ne pas dépasser les 2 °C, ce qui ne laisse aucun délai pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre.
Les conséquences du réchauffement climatique au XXI e siècle
Chaque demi-degré compte
S’il est important de respecter les accords de Paris, c’est parce que ce rapport le répète : chaque demi-degré compte.
Les scientifiques évoquent les nombreuses conséquences du réchauffement prévu dans les différents scenarios :
- Une fréquence de certains évènements extrêmes sans précédent dans les observations, surtout pour les plus rares (grande confiance) ;
- L’augmentation et l’intensification très probable des précipitations intenses dans la plupart des régions, ainsi que des cyclones tropicaux ;
- L’amplification de la fonte du permafrost, la perte de couverture neigeuse et glaciale, et la fonte de la banquise arctique, qui disparaîtra probablement presque complètement en septembre au moins une fois d’ici à 2050.
Le permafrost (ou pergélisol) est un sol gelé (au moins partiellement) en profondeur, dont la température est négative sur au moins deux années consécutives. Il tient prisonnier des matières organiques (principalement des végétaux), riches en CO2. Sa fonte est un motif d’inquiétude car elle libère du CO2 et du méthane (voir plus loin).
Ces effets se feront sentir même avec un réchauffement de 1,5 °C, mais leur ampleur sera déterminée par le réchauffement futur :
Chaque demi-degré de réchauffement supplémentaire augmente perceptiblement l’intensité des vagues de chaleur, des fortes précipitations et des sécheresses dans certaines régions (très probable).
Ces différences sont décrites dans l’infographie ci-dessous. Le demi-degré supplémentaire entre 1,5 °C et 2 °C de réchauffement augmente également le nombre de régions affectées par l’intensification des cyclones tropicaux, des tempêtes, des inondations fluviales ou des feux de forêt, et par des baisses de précipitations. Pour rappel, dans son rapport spécial de 2018, le GIEC comparait déjà ces deux niveaux. La différence se mesurait en centaines de millions de personnes menacées par la pauvreté et les aléas climatiques.
Des changements irréversibles à limiter
Plusieurs phénomènes devraient eux se poursuivre tout au long du 21e siècle au moins en raison du réchauffement et des émissions passées, même si leur magnitude dépendra des émissions futures. C’est le cas du réchauffement et de l’oxygénation des océans, de la fonte des glaciers, de la calotte glaciaire arctique et du permafrost, ou encore de l’élévation du niveau de la mer.
Ce dernier, voué à augmenter pendant au moins des siècles, atteindra entre 0,28 et 0,55 m de plus qu’au début du siècle dans le scenario le moins émetteur, et entre 0,98 et 1,88 m dans le scenario le plus émetteur, qui n’exclut pas une élévation de 5 mètres en 2150.
Des puits de carbone plus sollicités… et moins efficaces
Une des mauvaises nouvelles de ce rapport est que les puits du carbone devraient être moins efficaces à mesure que le carbone s’y accumulera et que la planète se réchauffera. Les scenarios les plus émetteurs rendent leur rôle encore plus incertain, d’autant plus que certaines réponses ne sont pas encore incluses dans les modèles comme les émissions des zones humides, la fonte du permafrost ou les feux de forêt. Ainsi, plus on émettra du CO2, plus la part qui finira dans l’atmosphère sera grande.
Les puits de carbone désignent les milieux et les écosystèmes et les processus qui capturent des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et les stockent. Aujourd’hui, la végétation et les océans absorbent ensemble environ la moitié des émissions de CO2, le reste s’accumulant dans l’atmosphère.
Des évènement peu probables mais dramatiques à prendre en compte
Ce rapport s’est davantage intéressé que ses prédécesseurs aux évènements peu probables, sans toutefois pouvoir être écartés, et aux conséquences dramatiques. Cela concerne par exemple la Circulation méridienne de retournement Atlantique (AMOC), un courant océanique qui inclue le Gulf Stream. Il devrait s’affaiblir au cours du siècle, mais l’ampleur est incertaine. Il a peu de chances de s’effondrer brutalement avant la fin du siècle, mais si cela se produit, de lourdes conséquences seraient très probables comme l’affaiblissement des moussons en Asie et en Afrique ou un assèchement de l’Europe.
Des doutes demeurent également sur la fonte du permafrost, son ampleur et ses conséquences sur le climat, lui dont la fonte relâche du carbone et du méthane. Il en va de même pour la dégradation de la forêt amazonienne dont le sol contient de grandes quantités de CO2. Plus le réchauffement sera important, plus les évènements de bascule, graves et irréversibles, deviendront envisageables. Un pari très risqué.
Conclusion : que retenir de ce rapport ?
- Tout d’abord, nous en savons suffisamment pour agir. La responsabilité humaine ne fait plus de doute, les processus qui influencent le climat sont décrits plus précisément, et ses conséquences, sur le cycle de l’eau et les évènements extrêmes notamment, sont mieux comprises.
- Ensuite, chaque demi-degré compte. Plus la Terre se réchauffe, plus les canicules, les inondations, les sécheresses ou encore les cyclones deviennent fréquents et intenses, plus les effets irréversibles seront importants, et plus le risque de déclencher de dangereux points de bascule augmente.
- Troisièmement, respecter les objectifs des accords de Paris, dont l’importance n’est que confirmée par ce rapport, implique de ne plus émettre plus de CO2 que l’on en capture au milieu du siècle. Les budgets carbone à disposition s’amenuisent : chaque tonne de gaz à effet de serre compte, des réductions drastiques et urgentes s’imposent, auxquelles devront s’ajouter des émissions négatives massives.
- Enfin, étant donné que les effets du réchauffement climatique se font déjà sentir, et que certains devraient s’aggraver quel que soit le scenario d’émissions, il est important de s’y préparer dès maintenant, et notamment à Paris qui est particulièrement vulnérable aux vagues de chaleur.
Le temps presse. C’est ce qui ressort de tous les rapports du GIEC. Et comme à chaque fois, cela n’a jamais été aussi vrai.