[Série technique] – Episode 12 : Intégrer la surélévation à un projet de rénovation énergétique
Une opération de surélévation « consiste à élever d’un ou plusieurs niveaux un bâti déjà existant sans modifier l’emprise au sol » (ANIL, 2023, La surélévation – Outil de rénovation globale des copropriétés). Il s’agit d’une opération complexe, notamment en copropriété, car elle combine des enjeux juridiques, administratifs, financiers et techniques.
Cet article propose de comprendre ces différents enjeux en mettant en avant des retours d’expérience de professionnel·les.
Il s’appuie sur un entretien réalisé avec M. Marc Benard, architecte et directeur général de la société Equateur ayant réalisé la maîtrise d’œuvre du projet de rénovation énergétique avec surélévation du 15 rue Simonet dans le 13e arrondissement de Paris.
Il s’appuie également sur les ressources suivantes (à retrouver en bas de l’article), dans lesquelles des professionnel·les de la rénovation s’expriment sur le sujet de la surélévation :
- Un webinaire « RDV Copro » organisé par l’Agence Parisienne du Climat sur la thématique de la surélévation en copropriété en 2023 faisant notamment intervenir M. François Pelegrin, architecte fondateur de Pelegrin Architecture
- Un webinaire « Solutions Pro » organisé par l’Agence Parisienne du Climat en 2024 faisant intervenir M. Didier Mignery, architecte fondateur de la solution UpFactory ;
- Le podcast réalisé par Edilaix rendant compte de la table ronde sur la surélévation en copropriété qui s’est tenue à l’occasion des Rencontres Nationales de la Copropriété en mars 2022
Une pratique encouragée par un contexte règlementaire plus favorable
La Loi ALUR de 2014 et la suppression du COS (Coefficient d’Occupation du Sol)
En 2014, la Loi ALUR (Loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové) est promulguée et comprend des mesures qui permettent de faciliter la surélévation des immeubles d’habitation.
En effet, celle-ci supprime le COS (Coefficient d’Occupation du Sol) qui limitait la densité bâtie sur une parcelle à une valeur de 3. Par exemple, sur une parcelle de 100m², la surface de plancher constructible maximale était de 300m² (horizontalement ou verticalement). Aujourd’hui, c’est le Plan Local d’Urbanisme (PLU) qui fixe les règles de constructibilité des parcelles.
A l’époque du projet du 15 rue Simonet, le COS était d’actualité, il était difficile d’agrandir la surface de plancher construite sur une parcelle. Aujourd’hui c’est plus facile car c’est mieux accepté par l’urbanisme.
Marc Bénard
Aussi, la Loi ALUR de 2014 a modifié le type de majorité à laquelle est voté la cession du droit de surélever : auparavant voté à l’unanimité, la surélévation peut maintenant être votée à l’article 26 de la loi de 1965.
D’après l’Agence Nationale pour l’Information sur le Logement (ANIL) :
- La majorité simple (article 24) : c’est la majorité des voix exprimées par les copropriétaires présents ou représentés à l’AG
- La majorité absolue (article 25) : c’est la majorité des voix de tous les copropriétaires présents, représentés et absents
- La double majorité (article 26) : C’est la majorité de tous les copropriétaires (présents, représentés et absents) détenant les deux tiers des voix
Aussi, les copropriétaires du dernier étage n’ont plus de droit de véto à ce sujet. En revanche, ils peuvent acquérir ce droit à surélever en priorité.
Le PLU parisien bioclimatique
Le futur Plan Local d’Urbanisme bioclimatique (PLUb) parisien, voté courant 2024, devrait encourager d’avantage la surélévation que le PLU alors en vigueur. En effet, le PLUb permettra aux bâtiments situés dans des voies dont la largeur est supérieure à 12m d’être surélevés de 3m si la surélévation est destinée à de l’habitation.
Aussi, Didier Mignery explique dans le webinaire Solutions Pro du 18 mars 2024 que le calcul de la largeur de la voie comprendra le retrait des immeubles par rapport à la voirie.
La surélévation va dans le sens du Zéro Artificialisation Nette (ZAN)
La Loi Climat et Résilience de 2021 pose un objectif de Zéro Artificialisation Nette d’ici 2050.
La surélévation est un réel levier pour construire de nouveaux logements dans des zones urbaines denses telles que Paris sans pour autant accroître l’artificialisation des sols.
Points de vigilance à avoir en tête pour se lancer dans la surélévation
Précautions techniques à prendre en compte
Différentes contraintes d’ordre technique sont à examiner lorsqu’on se lance dans la surélévation d’un immeuble.
Portance du bâtiment
La capacité portante d’un bâtiment correspond à la masse que ce dernier peut supporter.
Didier Mignery explique dans le podcast d’Edilaix qu’en fonction de l’année de construction, on n’aura pas la même disposition structurelle. La capacité portante va dépendre de la qualité du sol, de la qualité des fondations et de la qualité de la structure du bâtiment.
Si on ajoute moins de 10% de charge par rapport à l’existant ce n’est pas un problème, sinon il faut réexaminer la capacité portante de l’existant.
Didier Mignery
Dans le cas du 15 rue Simonet (Paris 13), il n’y avait pas d’inquiétude sur les fondations car la surface ajoutée, et donc le poids, étaient minimes par rapport aux fondations existantes. Il n’y a donc pas eu besoin de reprise structurelle.
Si une telle intervention sur les fondations est nécessaire, alors il n’y a en général pas de projet car cela implique des surcoûts très importants.
Marc Bénard
Prolongation des réseaux existants
Le toit étant surélevé par rapport à l’origine, il est parfois nécessaire de prolonger les réseaux de ventilation. Dans le cas du 15 rue Simonet, des gaines de ventilation déjà montées en toiture et il était facile de les prolonger. Il n’y a pas eu besoin de prolonger les colonnes électriques.
Quid des ascenseurs ?
Le fait de créer un étage supplémentaire implique parfois de prolonger, ou bien de créer un ascenseur, nous indique Marc Bénard.
Interface ancien/nouvel étage
Certaines précautions sont à prendre concernant l’interface entre l’ancien dernier étage et le nouveau, indique Didier Mignery dans le podcast d’Edilaix. C’est un moment crucial où il faut faire attention à l’étanchéité.
Faisabilité juridique
La surélévation d’un bâtiment est confrontée à différentes contraintes d’ordre juridique.
Règlementation des bâtiments neufs
- Tout d’abord, il est important de savoir qu’une opération de surélévation est soumise à la réglementation des bâtiments neufs. Il faut donc respecter la performance thermique imposée par la RE 2020, certaines normes d’accessibilité, ou encore de sécurité incendie.
- Enfin, à partir de 800m², il est obligatoire que la surélévation comporte 20% de logements sociaux. Il s’agit d’un seuil qui est très rarement, – voire jamais – atteint en copropriété.
Règles de copropriété
Comme évoqué précédemment, la Loi ALUR de 2014 a fait tomber le droit de véto du propriétaire du dernier étage, qui reste prioritaire s’il souhaite acquérir le droit à surélever. Le maître d’ouvrage d’une opération de surélévation étant le Syndicat des Copropriétaires, il est parfois difficile de trouver un assureur ou un financeur pour le projet.
Il est donc fréquent que la copropriété cède son droit à construire à un promoteur immobilier qui rachète ce nouvel étage. Ce rachat permet notamment de financer une bonne partie des travaux de rénovation globale s’il y en a.
Plan Local d’Urbanisme (PLU)
Le PLU est un document qui permet de planifier l’urbanisation d’une commune. Celui-ci impose certaines règles telles que :
- Des règles de volumétrie, notamment en fonction de la largeur des voies. Ce sont celles-ci qui seront assouplies dans le cadre du PLUb parisien.
- Des règles de paysage ;
- Des règles d’aspect etc.
La surélévation d’un bâtiment devra se plier à ces règles afin que le permis de construire soit accepté par la commune.
Faisabilité architecturale et urbanistique
Surélever un immeuble implique de changer son aspect extérieur ainsi que celui de son environnement.
Les immeubles en dents creuses ou encore situés dans des angles seront ainsi plus faciles à surélever d’un point de vue architectural et urbanistique car cela leur permet de s’aligner avec les autres bâtiments environnant.
Ainsi la surélévation d’un immeuble implique une négociation avec les Architectes des Bâtiments de France, dont le rôle est de « garantir la bonne conformité des projets à l’image globale de l’environnement urbain », comme le rappelle Didier Mignery.
Cette nouvelle esthétique de l’immeuble, et donc de son environnement, doit aussi être validée par la copropriété et par les riverains.
Acceptabilité de la copropriété
Les travaux de surélévation, tout comme les travaux de rénovation énergétique globale, se font en site occupé.
Il est crucial de communiquer sur le projet auprès de l’ensemble des copropriétaires afin qu’ils soient rassurés et embarqués dans le projet.
Il est nécessaire de faire de la pédagogie, de faire en sorte de générer le moins de nuisance possible, comme on le fait déjà dans les projets de rénovation énergétiques classiques. Parfois, il faut arrêter l’ascenseur pendant les travaux de prolongation de celui-ci, ce qui implique par exemple de mettre en place des systèmes de portage pour les habitants.
Didier Mignery
Pourquoi intégrer la surélévation dans un projet de rénovation énergétique ?
L’intérêt financier de la surélévation dans un projet de rénovation global
Faire des économies d’échelle
Le fait d’intégrer la surélévation à un projet plus global permet de faire des économies d’échelle au niveau des coûts des travaux. Marc Bénard insiste sur le fait qu’il est bien plus rentable de faire des projets les plus globaux possible.
Il ne faut pas négliger la part que représente un échafaudage dans un poste de travaux de ravalement. Au 15 rue Simonet dans le 13e arrondissement, le coût de mise en place de l’échafaudage était de 15 000 € soit 10% du prix du ravalement ! Pour Marc Bénard, cela n’aurait pas été rentable de séparer les deux opérations.
De plus, comme explicité précédemment, la vente du droit de surélever permet de financer une partie de la rénovation globale.
Diminuer les charges dans le cas des copropriétés
Aussi, la surélévation permet d’augmenter le nombre de logements de son immeuble, ce qui est une piste intéressante dans un contexte urbain tendu tel que Paris et avec l’objectif ZAN évoqué en début d’article. Cette augmentation du nombre de logements implique alors une nouvelle distribution des quotes-part, et donc une diminution probable des charges par logement telles que :
- Les charges de chauffage ;
- Des travaux futurs ;
- L’entretien des parties communes etc.
Une occasion d’améliorer l’existant, thermiquement et esthétiquement
La surélévation est une solution architecturale qui permet d’améliorer le bâtiment existant tout en lui conférant une meilleure performance thermique.
François Pelegrin explique dans le webinaire RDV Copro de 2023 que la surélévation est un moyen « d’améliorer l’immeuble en optimisant la performance énergétique par l’utilisation d’énergies renouvelables et des travaux d’isolation ».
- Au niveau de l’étage surélevé, l’isolation par l’extérieur est faite sur une ossature bois et est recouverte d’un bardage zinc/acier.
- L’isolant est compris dans l’ossature bois en elle-même : 24 cm de laine de bois (biosourcé).
- Du polyuréthane vient compléter pour atteindre la performance énergétique requise par la RE2020 sur la partie courante du ravalement qui est isolée en laine de roche sous enduit.
- Au dernier étage, quelques zones comprennent du polyuréthane sous le bardage métallique (50m²).
- Une partie de la toiture terrasse non surélevée est isolé en polyuréthane.
On vient rénover esthétiquement l’immeuble et le valoriser : il s’agit d’une véritable requalification architecturale.
Le projet du 15 rue Simonet s’insère dans l’Opération Programmée d’Amélioration Thermique des Bâtiments du 13e arrondissement (OPATB13).
Il était ici question de pérenniser le patrimoine et de transformer le logement du dernier étage en triplex en ajoutant 46m² SHON. Cela représente environ 4 000€/m² surélevé.
Marc Bénard
Finalement, la surélévation d’un immeuble d’habitation intégrée à un projet plus global de rénovation énergétique possède de nombreux avantages notamment esthétiques et financiers, mais soulève quelques points de vigilance. En effet, il est important d’examiner les faisabilités technique, juridique, architecturale d’un tel projet.
Aussi, il est essentiel de bien prendre en compte l’acceptabilité de la copropriété et d’envisager des actions de communication avec, et auprès de ses voisines et voisins.
Pour aller plus loin sur le sujet de la surélévation
Sources utilisées pour cet article
- RDV Copro organisé par l’Agence Parisienne du Climat en 2023
- Solutions Pro organisé par l’Agence Parisienne du Climat en 2024
- Podcast réalisé par Edilaix sur la surélévation en copropriété
Fiches de site CoachCopro de projets comportant de la surélévation à Paris
- 15 RUE SIMONET 75013 PARIS (coachcopro.com)
- 68 BOULEVARD DE LA TOUR MAUBOURG 75007 PARIS (coachcopro.com)